22 octobre 2005

Aire de zanahoria

Il y avait la méditerranée, le soleil de fin de journée, l’odeur des pins et la cala Montjoi. Il y avait cette maison blanche, moderne et rustique à la fois, grouillante et sereine s’il est possible. Mais il y avait surtout devant moi une étrange coupelle en cristal d’où débordait, sans pour autant s’affaisser, cette improbable texture orange, brillante et légère, telle la mousse d’un bain. Je me souviens de ce jour, de l’atmosphère et de l’excitation ambiante à la vue d’un plat qui n’en était peut être pas un. Il y eut ensuite le premier contact physique, une cuillère qui plonge à la rencontre de cette étrange chose pour se l’approprier, l’appréhender avant de l’offrir à nos papilles. Il y eut enfin ce non contact dans la bouche, ces visages décontenancés par cette curieuse sensation de gober de l’air et ce goût de carotte, tout aussi improbable mais très présent, qui nous envahit. Nous étions chez El Bulli, et il s’agissait d’un tour de passe-passe de Ferran Adrià ; une génialité catalane qui, au fonds, n’avait de sens qu’en ce lieu. C’était seulement de l’air, de l’air de carotte, aire de zanahoria, du luxe avec rien, un coup de génie ou une farce, peut-être les deux, mais surtout le sentiment jouissif d’une sensation jusqu’alors inconnue, d’un univers à découvrir. Il l’avait fait.