08 septembre 2006

Domecq, salsa Mayalde


"Qu’avez-vous à nous proposer, Monsieur ?
- "Aujourd’hui, le chef s’est décarcassé, bonnes gens, jugez plutôt, vous m’en direz des nouvelles : terrine de toros cuits à la vapeur de l’eau thermale de Dax en su salsa de figuras. Succulent !"
- Avec ces chaleurs, ça nous semble un peu lourd, mon cher. La digestion risque d’être difficile.
- Dans ces conditions, je peux vous proposer des canapés de novillos multicolores en su salsa Domecq, c’est léger, ça se mange sans faim !
- Bien, va pour les canapés, ça nous reposera !"

Ce week-end, l'Adour va bouillir, c'est promis, juré, craché. Ponce, Rincón, Juli et Castella vont se la jouer au milieu de la pluie... d'oreilles et pourquoi pas de queues. Mousson de cartilages, faudra faire mieux que le week-end dernier à Bayonne. Intervilles n'est pas loin !
Pour ceux qui craignent les chaleurs, qui ne goûtent pas les succédanés de toros bravos ou les guidons du team Samuel Flores, rendez-vous à l'heure de l'apéro, il y a quatre novillos du Conde de Mayalde à occire. Ça apparaît à peine sur les affiches, quelle importance.

Le Conde de Mayalde n'est pas encore un élevage très connu chez nous. Ça sort pas mal pourtant depuis quelques années, les Tyrossais peuvent en témoigner. Cette année, c'est Gijón qui a raflé le gros lot, semble-t-il.
Mayalde, ça sonne "grand d'Espagne", généalogie à rallonge et patronyme long comme l'Amazone. L'élevage a été fondé en 1949 par José Finat y Escriva de Romani1 qui deviendra le Conde de Mayalde. Il achète cette année-là la ganadería de Humberto Sánchez-Tabernero qui recouvre deux encastes marqués de nostalgie : Coquilla et Vega-Villar. En 1958, le Conde acquiert la moitié de la camada de Ignacio Sánchez-Sepúlveda qui détient du pur Contreras dans la ligne Sánchez-Terrones (Baltasar Ibán vient de la ligne Sánchez-Rico). Evidemment, comme souvent, le ganado antérieur est éliminé.
Jusqu'en 1986, le sang Contreras reste pur de tout croisement mais les temps sont à l'uniformité et il faut bien vivre. C'est tout d'abord 'Jirivilla', un semental de Juan Pedro Domecq qui livre sa miraculeuse semence aux "petites" vaches Contreras. Prudent, le Conde conserve tout de même une lignée pure Contreras, on ne sait jamais avec ces Domecq. Cependant, le croisement opéré en 1986 est consolidé en 1990 avec un autre "macho" de Juan Pedro et le tout est entériné en 1995 par l'achat d'un lot de vaches El Ventorrillo, encastées... Juan Pedro Domecq. Actuellement, les produits du Conde de Mayalde sont fortement marqués par l'apport Domecq et la lignée pure Contreras semble n'être plus qu'un doux souvenir. ¡Lástima!

C'est justement en mai 1995 que disparaît le Conde de Mayalde dont la vie suscite l'intérêt des férus d'histoire contemporaine. Entre autres fonctions, il fut ambassadeur d'Espagne à Berlin au moment où le petit moustachu aux idées noires (euphémisme) mettait le vieux continent à genou. A partir de 1955, ce proche de Franco donc, fut maire de Madrid, mandat qu'il occupa jusqu'en 1964. Question toros, il dirigea l'UCTL de 1972 à 1982 puis en devint président d'honneur. Homme public, côté pouvoir et dictature, grand ganadero, le Conde de Mayalde a laissé son héritage taurin à Rafael Finat Rivas (Conde de Mayalde) et à Fernando Finat Bustos (Marqués de las Almenas, vendu depuis à Francisco Medina, l'ex d'El Ventorrillo).
L'élevage est situé sur plusieurs fincas. La maison mère, si l'on peut parler ici de maison, se nomme "El Castañar" et se trouve à Mazarambroz (Toledo). Le reste est regroupé à côté d'El Espinar, au nord de Madrid, sur la route d'Ávila, dans les fincas "El Atillo" et "Batanejos". C'est un pays charmant, presque bucolique. On peut compter les arbres sur les doigts d'une main de manchot et le vent est aussi caressant que la barbe de la tante qui pique à Noël. Un régal.
Les animaux y sont clairement influencés Domecq. Pour reprendre les éminentes explications du Docteur Daulouède dans son livre Toromanie2, les toros sont plutôt dans le type "por abajo", c'est-à-dire avec une croûpe plus haute que l'avant et un cou assez long (voir le toro noir et blanc en photo). Ça embiste mieux paraît-t-il. Le côté légèrement ensillado du Contreras disparaît peu à peu.

Néanmoins, les ultimes sorties de cette ganadería devraient pousser les aficionados à se rendre à Dax dimanche matin vers 11h15 ; Domecq ou pas, cela risque d'être intéressant. Il n'y en aura que quatre (va comprendre !) mais sait-on jamais.

1 Sur l'histoire du Conde de Mayalde, se référer à l'article de Pierre Dupuy dans Toros, n° 1502-1503 du 26 mai 1995.
2 Toromanie de Pierre Daulouède, 2003, Editions Atlantica.