05 juin 2007

"Viconographie"... Féria de Vic-Fezensac 2007

Ne restent que les os, sans la moelle. De la poule au pot, de Vic 2007 !
Le bleu de ses yeux caressant le vert sombre de son "joli petit jardin" derrière la maison, elle a lâché ce poème orphelin que d'autres anciens de Gascogne distillent encore, de-ci de-là, quand le ciel inquiétant met des ténèbres dans leur dure caboche. "Si l'on peut faire une robe à la vierge avec un bandeau de ciel bleu, au milieu des nuages, alors, viendra le beau temps." Six paires d'yeux ont regardé comme elle, juste au-dessus du prunier au fond de son "joli petit jardin"...

Il pleut, il pleut,
Sur les jardins alanguis,
Sur les roses de la nuit,
Il pleut des larmes de pluie,
Il pleut,
Et j'entends le clapotis,
Du bassin qui se remplit,
Oh mon Dieu, que c'est joli,
La pluie
*

...Fredonnait-elle, peut-être, le bleu des yeux dans le vert sombre...
La vierge, pauvre d'elle, s'habillera de vent, de grosses gouttes d'eau, d'un manteau de frissons. Ce week-end de Pentecôte, la Gascogne s'est fait méchamment refaire le portrait, d'uppercuts diluviens en droites de bourrasques, de crochets orageux, malotrus, en K.O. de Celsius. Une vraie "branlée" diraient de fantasques sémiologues de banc de touche. Et nous, ô pauvres de nous, en-dessous, au dedans, le cul mouillé, les pieds comme des plants de riz, une procession immobile de déceptions capotées de plastoc. Ecoeurés ! Le cœur vide aussi, gonflé de rien et de pourquoi, plein de "assez".

Vic 2007 nous a rendu Barcial, recouverts de noir avec ce soupçon de blanche innocence car, c’est forcé, il faut en garder un peu pour continuer à y aller. Nous étions comme ces douloureux Barcial sortis le samedi. Je me demandais en glissant lentement vers les habituelles dionysies vicoises s’il était possible d’écoeurer un taureau de combat. Peut-on, par l’infect truchement de mauvaises manières, conduire un animal de combat à l’écoeurement, au dégoût du combat ? OUI ! C’est possible, demandez à messieurs Loré, Sánchez Vara et Rafaelillo. Ils savent comment faire, ils ont les clés hypocrites de l’effondrement de feues nos espérances. Ce sont les picadors qui furent sifflés, pas assez, pas assez fort, pas assez bruyamment, j’en conviens. Mais qui commande ces troufignons de la Fiesta ? La présidence ? Deux secondes... je vais rire. Le CTV ? Je suis hilare, arrêtez ! Non, ce sont bien ces messieurs contractés des mois à l’avance - parce qu'« il a été bon ici ou là ou à Madrid... », parce que c’est l’ami d’un tel, parce qu’il est apodéré par cette empresa et qu’il faut rendre la politesse d’autres contrats, ailleurs - qui donnent les ordres. Contractés donc des mois à l’avance, comme une maladie qui incube discrètement et qui se réveille un soir de corrida, stigmates bien réels s’ouvrant sur les reins massacrés de taureaux de combat. Evidemment, les Barcial ne furent pas ces bestioles super encastées d’il y a encore quelques lustres. Non ! Mais quand même. Des toros qui foncent sur la cavalerie dès qu’elle entre en piste, des toros que ça titille d’aller cogner dans le peto, des toros qui veulent combattre, vous n’en verrez pas tous les jours. Certains peut-être trop lourds, d’autres sans classe (le 1), tous pourtant montrèrent un fond de race indéniable, tant aux piques qu’à la faena. Ils avaient en eux de la noblesse et de la bravoure ! Nous ne les avons pas vus ! Ces messieurs contractés des mois à l’avance ont abandonné leur honneur professionnel au bout d’une lance de bois et de fer destructrice et toujours baladeuse. Combien de piques ont-ils pris réellement ces toros de Barcial ? Ils ont souffert en tout cas, le dos labouré, les épaules hâchées... Oui, souffert car un toro souffre bel et bien dans l’arène, n’en déplaise à tous ceux qui voudraient nous faire prendre des vessies pour des lanternes ou pour autre chose de plus nauséabond. Les Barcial ont souffert mais ils ont pris leur ration de dégueulasserie sans rien dire à personne, sans se révolter peut-être mais en mettant malgré tout la tronche. Point. Il n’y a pas de quoi danser la gigue du bonheur Arturo ; ton élevage n’est pas au mieux (état sanitaire, sélection) mais entre tes mains vit encore un sang qui demande à charger, à combattre, à couler au creux de stigmates honorables. Un sang que l’on suicide, avec l’assentiment de tous !

A trois glands d’encinas de Barcial, presqu'au bout de la petite route qui mène à Las Veguillas, un type qui porte le nom de sa terre élève des pléonasmes. Des Atanasio, grands, très grands. Ceux de Vic le furent. "Le lundi au soleil, c’est une chose que l'on n’aura jamais..." Fallait pas rêver non plus, naïfs que nous étions. Ça a continué, la pluie et le reste, en pire, en plus gris, y’avait plus de couleurs du tout, que du noir comme les robes uniformes (un burraco quand même) de ces Charro de Llen, à mon goût trop lourds. Monsieur de Llen avait conservé au fond de sa finca un lot de cinqueños bien passés, armés correctement et de présence... lourde. En face, trois autres contractés, un dans l’urgence, les autres parce que... Le bal de l’infâmie a poursuivi ses rondes, ses tours de jambes, ses notes fausses. En pire ! Padilla... Non, aucun mot, rien si ce n’est le geste le plus abject de la féria, cette poignée de main échangée avec M. Bonijol alors même que 'Pitillito' subissait le calvaire d’une carioca haîneuse, lui, 'Pitillito', qui était brave et puissant. C’est peut-être pour cela d’ailleurs. M. Bonijol pouvait bien serrer la patte du minable remplaçant, son canasson ne craignait plus rien à cet instant-là. 'Pitillito' fut la rumeur qui se confirme, le on-dit qui prend corps. Six toros dézingués par des piques de bouchers entraînés dans un camp spécial dissimulé au tréfonds du Japon impérial, de l’URSS stalinienne, de l’Allemagne moustachue et noire, caché ailleurs aussi. Six taureaux de combat qui ne rendirent jamais les armes avec leurs charges lourdes mais pesantes, inquiétantes on le comprend. Les Charro de Llen permettaient mieux que ce non-spectacle mené par trois messieurs déloyaux. López Chaves pensait à Madrid, comme Rafaelillo, comme Fundi, comme Sánchez Vara, comme Vilches, comme Encabo... Savalli pensait peut-être qu’il n’y avait pas assez de mouches à gober (voir "Viconographie 2006") sous ce ciel de tristesse. Padilla... Non...

Dans les corrales, ils étaient beaux. Un ancien président du CTV est même venu nous le confirmer au cas où nous n’aurions pas bien vu. J’ai compris après la course pour quelle raison on avait acheté des toros à M. Margé. Les Vicois, géniaux devins, savaient que le temps serait pourri en cette Pentecôte. Il doit y avoir un chaman en leur sein. Ils savaient ! Ils ont donc fait venir, en Ténarèse, de la couleur, de la variété de pelages pour donner à leur féria une autre teinte que celle du sombre et des soucis. Ils étaient donc beaux et bien habillés, comme pour le mariage de la cousine. Des toros sur leur 31, il ne leur manquait que le nœud papillon, la pochette fleurie et la cavalière pour guincher peinard. Ils se sont tenus correctement, n’ont pas abusé de l’apéro et on ne les a pas non plus forcés, eux. Y’en a même qui faisaient la fine bouche, malpolis va ! Ils ont dansé un peu, d’un pas assez léger, certains allègres mais la tête ailleurs on aurait dit. Comme Encabo, tout de blanc luisant habillé, ils ont réussi à rester bien propres, bien nickels. Des enfants sages au mariage de la cousine. Elle était contente la cousine finalement, elle le disait partout le lendemain à qui voulait l’entendre. Elle en a un peu rajouté bien-sûr, c’est normal c’était son mariage, elle ne pouvait faire autrement. Elle doit préférer les Beatles au Rolling Stones ! Il se disait dans la satisfaction générale (sauf d'autres et moi) qu’ils étaient invités au mariage d’une autre cousine en juillet. Peut-être qu’ils vont se cogner une bonne cuite ce coup-ci... avec le soleil.

Comme ce dimanche où il a enfin montré le bout de son peignoir entre un café et une biscotte, mal rasé en plus. Feignasse ! Il s’est certainement levé pour voir la course phare, en tout cas dans l’esprit du lieu, de cette féria vicoise. La corrida con tout court. Six toros sélectionnés parmi les meilleurs pour défendre les couleurs de leur patron. Ah ! ah ! ah !... Un Fraile malade (il avait perdu un paquet de poids), un Valverde tuberculeux dont on pouvait entendre saigner les poumons à Condom, un Adelaida qui n’était pas celui prévu initialement et, enfin, un Nieves que certains montreurs de choses étranges et terrifiantes du XIX° siècle auraient certainement engagé sur le champ. "Un toro à l’envers" me disait un pote à la sortie. C’est ça. Tout dans la croupe, laid comme un poux. Merci le CTV d’avoir eu l’audace de montrer tout cela car ce coup-ci la faute est bien vôtre et celle de personne d’autre. Vous pourrez toujours rétorquer que Chopera est un sacré magouilleur (c’est vrai car le Nieves traînait dans ses corrales depuis un moment) mais oser sortir ce Valverde assurément déjà malade à l’apartado montre le respect que vous affichez à l’égard d’un public que vous chatouillez dans le sens du poil le lundi après-midi (discours larmoyant d’un membre du CTV pour nous remercier d’être restés fidèles malgré le temps déplorable !) et d’un jeune torero qui doit affronter une bête malade et aveugle, et qui s'est mis devant. Bravo le CTV ! Il restait le Sánchez-Fabrés, Coquilla croisé de Buendía, bête superbe, auteur de la seule sortie sauvage de cette féria (avec le Charro de Llen n°5). En deux secondes, un péon aux ordres et plus con qu’une endive a éteint nos espoirs et cassé l’estampe cárdena. Il l’a fait taper dans un burladero, sachant très bien que le toro s’y déchaînerait, et il a réussi son œuvre quand le Coquilla repartit d’un pas incertain vers un destin banal. Merci l’endive et merci Luis Vilches qui pourrait donner des conférences sur la construction de boulevards et autres périphériques. Une corrida con tout court dans laquelle on avait l’intention de croire aux vœux de bonne année du CTV prônant la défense du 1er tiers. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Je suis d’accord aujourd’hui. Ce fut la féria de Vic la plus nulle en ce qui concerne le tercio de piques et cette corrida, que je refuse de nommer concours, en fut le paroxysme navrant. Les picadors auraient dû sortir sous une pluie de noms d’oiseaux, sous la diatribe populaire... Il n’en fut rien et certains même furent applaudis pour avoir su savamment doser les châtiments et piquer dans les reins pendant de tristes cariocas. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient mais aussi tous ceux qui refusent de voir.

Il restera de Vic 2007 trois jeunes mecs devant lesquels il convient de s’incliner car ils ont toréé l’orage, la bourrasque, le déluge, le froid, les gouttes, les frissons et de vrais taureaux de combat encastés qui étaient des novillos. Il restera 'Nicotina', premier Adelaida Rodríguez, qu’un président ballot honora d’une vuelta posthume illogique mais demandée par tant... C’était un vrai bon toro plein de caste et d’allant. C’était un taureau de combat, tout court. Bravo les « gosses » et encore bravo !
Il restera des toros morts pour rien, des tricheurs à la petite semaine, des magouilleurs ayant pignon sur rue, des chevaux adulés qui se couchent sur des toros (faudrait quand même que la cuadra Bonijol arrête ces dérives), des picadors indignes, des gouttes d’eau trop froides, une vierge drapée de frissons et sur les feuilles du prunier au fond de « son joli petit jardin », le bleu de ses yeux qui caresse le vert sombre...

* Extrait de "Pierre" de Barbara.