06 décembre 2007

Moins de seize... heu quinze !


Une proposition de loi « tendant à interdire l’accès aux courses de taureaux aux mineurs de quinze ans » a été mise en distribution ce jour et rendue accessible sur le site Internet de l’Assemblée Nationale.

Ce texte, présenté par MM. Jean-Pierre Brard, Jean-Jacques Candelier et Daniel Paul, députés respectivement de la septième circonscription de Seine-Saint-Denis, de la seizième circonscription du Nord et de la huitième circonscription de Seine-Maritime, a été déposé sur le bureau de l’Assemblée le 27 septembre 2007 et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

L’exposé des motifs est on ne peut plus succinct, totalement dépourvu de la moindre justification objective et, même s’il reconnaît implicitement la légitimité des courses de taureaux dans les conditions prévues par le législateur, témoigne d’une méconnaissance désarmante du phénomène taurin. Je vous laisse en juger par vous-mêmes :

« Les courses de taureaux comportant la mise à mort des animaux ne sont pas un sport [sic] comme un autre. Le spectacle d’une mise à mort programmée et parfois longue est de nature à heurter des sensibilités particulièrement celles des enfants.

C’est pourquoi, si le législateur a accepté une dérogation à la loi pénale au bénéfice des courses de taureaux, il convient d’en préciser et d’en limiter la portée en interdisant leur accès aux mineurs de quinze ans.
»

D’un point de vue purement formel, nous sommes assez loin des envolées lyriques de la Cour d’appel de Toulouse1, et il conviendrait de porter à l’attention de nos chers députés qu’une application stricte de leur texte interdirait l’accès aux arènes seulement aux mineurs de quinze ans, et non à ceux de moins de quinze ans. Et dire que ces personnes votent nos lois.

L’article unique de la proposition de loi est rédigé dans les termes suivants (en reprenant la « boulette » mentionnée plus haut) :

« Après la première phrase du septième alinéa de l’article 521-1 du code pénal, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :

"Toutefois, l’accès aux arènes ou tout autre lieu où est organisée une course de taureaux comportant la mise à mort d’au moins un animal, est interdit aux mineurs de quinze ans. Est puni des peines prévues au présent article, le fait, pour le gestionnaire du lieu où se déroule la course de taureaux et pour son organisateur, d’enfreindre cette interdiction."
»

Il ne s’agit nullement ici de minimiser la menace que constituent les démarches entreprises par les militants anti-corrida, et ce particulièrement depuis que des personnes moins limitées intellectuellement sont devenues plus actives. Mais comment, à la lecture de cette proposition, en étant instruit des expériences récentes et surtout du sort réservé à des propositions de lois plus sérieuses, ne pas être tenté de s’exclamer : "Tout ça pour ça !"

Comment ne pas non plus constater un net recul des revendications par rapport à la proposition enregistrée le 8 juin 2004, beaucoup plus (sinon mieux) argumentée et présentée par un nombre autrement plus significatif de députés menés par Mme Muriel Marland-Militello, ayant pourtant abouti à un échec cuisant ?2

Sans vouloir raviver la polémique, nous ne pouvons pas nous empêcher de nous poser encore une fois (car nous ne sommes pas butés) la question de savoir s’il était opportun d’entrer dans ce débat. Et notre conviction est claire est sans ambages : la réponse est non ! Tout en restant vigilants et concernés, il nous paraît indispensable de ne pas lâcher de terrain, encore moins quand la soi-disant menace est si inoffensive. Il n’est pas nécessaire d’être devin pour anticiper le sort de cette nouvelle proposition de loi.

Dans ces conditions, nous ne voyons vraiment pas où était l’intérêt de, spontanément et de notre propre initiative, proposer un compromis qui plus est dangereux à court ou moyen terme et, partant, inacceptable. A la lumière de la manifestation du danger matérialisé aujourd’hui par cette proposition, la demande faite au Président de la République nous paraît pour le moins singulière. En admettant qu’il ait compétence en la matière, eût-il fallu se réjouir qu’il accède à la demande ainsi formulée, alors que cette tentative est vouée à finir sa trajectoire dans la poubelle de l’hémicycle ? Et même si, par extraordinaire, la menace avait été plus réelle, n’eût-il pas mieux valu agir de manière ferme et concertée, en utilisant tous les arguments issus de l’avis des experts (cf. notamment les lettres de psychiatres recueillis depuis lors par la FSTF) ?

Espérons que tout cela est à ranger au rayon des souvenirs désagréables, et que nous allons enfin pouvoir nous concentrer sur les dangers qui nous rongent de l’intérieur.
Erratum : comme me le fait justement remarquer l'un de nos lecteurs dans un message ci-dessous, ce ne sont pas les trois députés qui ont commis une boulette en demandant l'interdiction des arènes aux "mineurs de 15 ans", mais bien moi en affirmant à tort que cette formulation limiterait l'interdiction aux enfants de 15 ans, à l'exclusion de ceux qui seraient mois âgés. Merci de nous l'avoir signalé.

1 « Il ne saurait être contesté que dans le midi de la France, entre le pays d’Arles et le pays basque, entre garrigue et méditerranée, entre Pyrénées et Garonne, en Provence, Languedoc, Catalogne, Gascogne, Landes et Pays basque, existe une forte tradition taurine qui se manifeste par l’organisation de spectacles complets de corridas. » Arrêt de la 1ère chambre de la Cour d’appel de Toulouse du 3 avril 2000 ; Assoc. Las Ferias en Saves c/ Assoc. Sté nat. pour la défense des animaux. Président : M. Mas.
2 A noter, déjà, l’accent mis, sans plus de justifications scientifiques et objectives, sur la protection de l’enfance : « En encourageant des cruautés exercées en public, on pervertit l’éthique à transmettre à nos jeunes. Amener un enfant à un spectacle qui accoutume à la souffrance, à la vue du sang, exalte ses passions nocives en les couvrant d’apparats. Le masque de la beauté, beauté revendiquée par les aficionados, ne saurait occulter la cruauté. N’est-ce pas une perversion de l’éducation artistique que de la déconnecter de l’esprit de compassion ? N’est-ce pas une perversion du mythe de l’héroïsme que d’inciter les jeunes « à se jouer la vie » ? Sur le plan pédagogique, la corrida fait perdre tout repère à l’enfant. Comment peut-il comprendre qu’il est autorisé, voire splendide, de planter des harpons sur le dos d’un taureau mais qu’en revanche il est interdit, voire affreux, de le faire sur le dos d’un cheval ? L’absence de repères est à son comble lorsque l’enfant suit une initiation dès l’âge de 7 ans. Dans les écoles de tauromachie l’apprentissage à la cruauté s’exerce parallèlement à des exercices pratiques sur des veaux et des vachettes : est-ce vraiment le meilleur moyen d’enseigner aux enfants l’amour pour les animaux ? Une tradition ancienne doit-elle transgresser l’éthique et les valeurs humanistes actuelles que l’on doit inculquer à nos enfants ? »