03 février 2008

Mais maintenant, c'est fini


Plus rapidement que je ne l’aurais cru, je touchais au but ; les tranches cartonnées étaient là, bien sagement alignées, vierges de toute inscrption — c’est d’un pratique pour rechercher un truc en particulier... Coup de pot, ou flair de Saint-Hubert, le classeur renfermant les feuilles sous pochettes plastiques de feu Tendido, je l’avais dans les mains.
Des éditos d’André-Marc Dubos par-ci (l’inspiré Les ayatollahs ne sont pas ceux que l’on croit obtenant même la Plume d’Aigle 2003 de l’ANDA), des photos de campo de Michel Volle (Valverde du néolithique, Yonnet du marais...) ou d’Éric Erb (Quinta da Foz sous les pins, Barcial sous les chênes...) par-là — Tendido donnait à voir des toros.
Mais Tendido ne paraît plus, comme ne paraissent plus outre-Pyrénées les cornus élevés de ce côté-ci. Hubert Yonnet a eu la chance d’y faire combattre les siens quelquefois. Ne doutons pas qu’il a su apprécier toutes ces fois comme s'il s'agissait de la dernière, car la prochaine ne lui tend pas les bras ; pensez donc : « Ils ne veulent plus de nous. » !

« Tendido Vous êtes le premier éleveur français à avoir fait lidier ses toros en Espagne et à ce jour le seul à y être allé un certain nombre de fois. Comment cela s’est-il passé ?
Hubert Yonnet La première fois c’est un peu le hasard qui nous a aidés. El Viti était venu participer à une tienta pour la Confrérie des Gardians, il était avec Balaña qui s’occupait de lui. Alors, comme ça, en plaisantant, je demande à Balaña : « Quand est-ce qu’on met une novillada française en Espagne ? » et il me répond : « Si tu veux, je te mets à Barcelona. ». Et nous voilà partis pour préparer Barcelona. C’était en 1979 et c’était la première fois que des toros français allaient être lidiés en Espagne. Mais ce n’était pas aussi simple. Il fallait que les éleveurs espagnols soient consentants et je devais donc leur faire une lettre pour demander leur accord. Ce que j’ai fait. Mais la lettre, soi-disant, n’arrivait jamais ! Finalement, il est venu un jour Álvaro Domecq père : je lui ai expliqué la situation en insistant sur le fait qu’une seule novillada française n’allait pas faire de l’ombre à l’élevage espagnol. Il a accepté de s’en occuper et ça a marché. Nous sommes allés à Barcelona et nous y sommes retournés pour une autre novillada et une corrida.

Et pour Madrid, cela a été difficile ?
Là aussi, le hasard a joué un rôle. J’étais allé à Madrid pour voir César Rincón dont on parlait beaucoup à l’époque et qui d’ailleurs avait fait un malheur dans ces arènes les deux premières fois. Après la course, j’avais rendez-vous avec son apoderado Luis Alvarez dans le bureau de l’empresa. On s’est donc tous retrouvé là-bas, on a discuté un moment, je me suis arrangé pour que Rincón vienne à Arles, ce qui n’a pas été très difficile car je connaissais très bien son apoderado. Puis, tout en parlant, comme ça, Lozano me dit : « Quand est-ce que vous venez à Madrid ? ». J’ai répondu : « Tape-là ! ». J’avais une corrida, je savais qu’elle pouvait très bien passer à Madrid.
J’ai préparé les toros, il y en avait onze. Le jour du départ il n’en restait que six pour diverses raisons, mais surtout parce qu’ils s’étaitent abîmés en se battant. Selon les élevages les toros se battent plus ou moins. Chez nous, ils se battent beaucoup et se cassent des pattes, des cornes, quelquefois ils se tuent. On en perd toujours beaucoup. Quand je suis arrivé à Madrid avec mes six toros tout le monde rigolait. Ils m’ont tous dit que je n’aurais pas l’ancienneté1 (NDLR : l’ancienneté officielle d’une ganadería s’obtient lorsqu’elle passe à Madrid), parce qu’il était très rare que les vétérinaires acceptent un lot entier. Et pourtant, c’est ce qui s’est passé. Ils les ont observés pendant vingt minutes et ils ont donné leur accord. J’étais très content, car c’est une chose rare.
En 92, il m’est arrivé la même chose à Sevilla, j’en avais préparé onze, et au départ, ils n’étaient plus que six, et c’est passé avec les vétérinaires. À Sevilla, c’était un peu spécial, c’était l’année de la Foire Exposition. Nous avions plus ou moins projeté avec Canorea père, que je connaissais bien, d’organiser des corridas pendant l’Expo avec des toros de tous les pays exposants qui en avaient. Malheureusement, cela n’a pas pu se faire, parce que les toros d’Amérique Latine ne pouvaient pas rentrer en Europe. Alors, on n’est resté que trois, mais on a fait les corridas, l’Espagne, le Portugal et la France.
Vous voyez, on a fait pas mal de courses en Espagne, on est aussi allé à Guadalajara. Mais maintenant, c’est fini. Ils ne veulent plus de nous. Personne ne veut dire pourquoi, personne ne veut l’écrire surtout. Personne ne nous empêche de passer nos toros, on peut les mettre dans un camion et même faire le tour de l’Espagne sans problème, mais à condition de ne pas les débarquer pour faire une corrida !

Propos recueillis par Nadine Regardier, Tendido n° 139 — Octobre 2003 »

1 Note CyR : l’ancienneté de l’élevage remonte au 4 août 1991.

Images Pas terrible, mais après avoir jeté à la corbeille les "quarante-douze" autres au cours d’une séance photo épique, il ne me restait plus que celle-ci ! La prochaine fois, promis, je demande aux collègues... Elle est tirée de : Pierre Dupuy, Histoire de l’élevage du toro de corrida en France, La Renaissance du Livre, 2003, p. 69. Fer de l'élevage Hubert Yonnet.