21 avril 2008

Ines, l'Espagne que j'aime… Suite sévillane (4)

Séville, samedi 5 avril 2008

Pendant qu'El Juli avait brillamment lidié et réglé le sort d’'Alagado', 610 kilos de peu de race, elle m'avoua qu'elle voyait sa première course à la Maestranza.
La quarantaine assumée, bien dans sa tête, dans ses fringues et dans ses talons aiguilles, elle soufflait ses volutes de fumée nonchalamment et regardait le ruedo, les muletazos délicieux de Manzanares et la mansedumbre des Ventorrillo. Visage sculpté au couteau, cheveux courts et noirs azabache, son regard profond, sauvage et sec comme l'Extremadura contrastait avec la douceur de ses sombres pupilles. Je la regardais parfois et voyais en elle l'héritage de ces temps sublimes où cette terre était l'harmonieux Olympe des Dieux de l'Europe et de l'Afrique. Un charme fou et ravageusement séducteur, elle faisait face à la vie superbement.
Là où je ne voyais qu'une épée tendida, elle voyait plutôt une envainada. Manzanares venait de tuer le brave 'Lujoso', après l'avoir torée muy sevillano, et entamait son tour de piste. Elle me répétait souvent que ces toros sortaient flojitos et je répondais qu'il s'agissait en fait d'une mansedumbre encastada majuscule. Elle me faisait remarquer un cojo, que je voyais plutôt comme un engourdissement provisoire, puis toisa superbement ce public sévillan qu'elle respectait pourtant pour sa grande connaissance de l'art taurin, en m'avertissant qu'un manso méritait sa lidia, et qu'on ne pouvait en aucun cas changer ce quatrième pour pareil motif. Elle n'aimait pas plus le cinquième, qu'elle voyait bonito y astifino à sa sortie, et craignit que le jeune Manzanares cherche à s'en débarrasser promptement en souvenir de l'héritage familial. L'air de rien, je jubilais. Tout en elle rayonnait de cette élégante nonchalance, chacun de ses mots claquait comme une trinchera de Morante : vif, opportun et savoureux. Elle était belle et parlait « Toros ».
Elle était de Madrid et dégustait ces heures sévillanes car elle appréciait ce silence andalou, si différent du grondement sourd des grandes gueules qui peuplent Las Ventas. Bien sûr, elle admettait que le « 7 » était indispensable à la bonne tenue de l'afición de verdad, mais cherchait autre chose à la Maestranza. Quelque chose de plus sexy, sans doute, de plus raffiné, comme cette morgue divine qui inonde l'orgueilleuse Séville. Menton planté dans le jabot, balancement de hanches, Perera avait entamé la première série sur 'Avellano', et je lui fis remarquer que ce toro était un bon toro. Elle s'en doutait déjà depuis belle lurette, et approuvait hautainement la faena magistrale de l'Extremeño à cet avéré manso de Ventorrillo, allant toutefois a menos, jusqu'à la humble estocade. On avait à l'occasion découvert des vertus esthétiques qu'on ne connaissait pas chez Perera. Elle reconnut finalement que ses connaissances en la matière ne lui permettaient pas de savoir si deux ou trois trophées étaient utiles à une « Puerta Grande » quand elle regarda le torero sortir a hombros, mais fut rapidement soulagée de constater que seule, la "puerta de cuadrillas" lui était admise. Je la sentais rassurée. Moi aussi. On conclut que la corrida avait été intéressante y muy seriosa.
On s'est alors quittés sur cette jolie note de fin d'après-midi andalouse. La Maestranza se vidait, et je continuais à savourer ce délicieux moment de sublime afición en la regardant disparaître dans les méandres blancs de la glorieuse enceinte. La brise soufflait, la nuit tombait et Séville jubilait. Elle s'appelait Ines, elle était belle et parlait « Toros ».
El Batacazo

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