29 mai 2008

Dans les corrals


Vic-Fezensac, vendredi 9 mai 2008.

Quelques heures avant le déclenchement des hostilités, quelques privilégiés, parmi eux quelques membres de Campos y Ruedos — quelque part ça fait bizarre —, ont eu l’opportunité de passer quelques minutes à quelques mètres — voire à quelques centimètres — de quelques-uns des toros combattus lors de la Feria del Toro. Je me doutais bien que ces quelques minutes allaient m’inspirer quelques lignes, sans savoir toutefois que je retrouverais quelque part dans une pile de papiers — pas non plus par hasard — quelques réflexions de José María Cruz Ruiz, parues il y a quelque temps dans quelque numéro d’El Aficionado* : « Le poil, le type, el respeto, las hechuras, la alegría, la corpulence... influent aussi dans les corrals. Le lieu même a une influence, car dans les corrals les toros en imposent beaucoup moins qu’au campo. Et cela s’explique par le fait que l’on est plus à l’aise pour voir dans les corrals qu’au campo ; dans les premiers, les toros ont l’air d’un troupeau d’ânes. De plus ils ont perdu la prestance qu’ils avaient au campo parce qu’on les voit serrés, intimidés... Sans parler de l’importante influence du voyage qui les "abîme", malgré les tranquilisants, ou peut-être pour cette raison. Dans les corrals, on peut très bien apprécier si la course est homogène de taille car il est facile de repérer, parmi six toros, ceux qui sont les plus grands ; encore qu’il reste compliqué de qualifier un toro de grand ou de petit. Six toritos homogènes de taille passent mieux que quelques toros plus petits aux côtés d’autres plus grands. »

Dans des corrals au sol recouvert de paille, on peut tout à fait trouver que six bravos à l’instinct grégaire aient « l’air d’un troupeau d’ânes » ; il n'empêche que de derrière les palissades, on voit les toros autrement, à hauteur d’homme. Voilà, c’est cela, vous êtes Homme, ils sont Toros. Et même après avoir vérifié l’épaisseur et la solidité des planches, vous percevez comme l’ombre d’un danger ; vous vous sentez tout fragile. Vous respirez un bon coup ; très vite vous commencez à imaginer des scénarii dramatiques : « Les gars, je crois que je vais vous attendre dehors... ».

Là vous distinguez une cicatrice, ici une plaie ; vous révisez votre alphabet — le « A » du Miura, le « U » de la Unión, le « a dans le C » des santacolomas ; vous souriez en apercevant cet enfant dans les bras d’un parent ou cette fresque naïve ignorée depuis la coursive — réminiscence picturale du campo, paysage mural d’un monde qu’ils ne reverront plus ; au moindre bruit vous remarquez l’extrême mobilité des oreilles ; vous êtes frappés par la lenteur des gestes et le peu de paroles — là-haut d’aucuns s’agitent et causent « pour être vus et entendus » ; un compagnon de corral remarque une corne fendillée sur le dessus, vous une autre mani... festement limpia ; rêveur, vous vous laissez aller à suivre les plans et perspectives dessinés par un toit, une corde, un linteau, une porte ou un mur ; vous attaquez un nouvel inventaire : béton, bois, tôle et fer, brique, acier, ciment et pierre, et vous trouvez ça beau ; les corps se frôlent vu l’étroitesse des lieux et les regards se cherchent ; vous volez une photo, puis deux, trois, et cetera ; d’un côté une main qui s’attarde sur une épaule, de l’autre un cou qui s’allonge et se pose sur une croûpe ; ici un doigt qui montre et là une corne qui gratte ; votre vision se brouille à s’attarder sur la brillance des diamants et le chignon seyant du Buendía, sur la beauté des cárdenos, du Guardiola, du carbonero ou du Veragua ; vous plongez la main dans un sac de pienso que vous écrasez entre le pouce et l’index ; vous ne manquez pas de noter des profils concaves, droits ou convexes, des différences de hauteur au garrot et de grosseur des morrillos ; vous jouez à vous faire peur en fixant un Pérez de la Concha dans les yeux... que vous ne tardez pas à baisser pour mieux admirer la finesse des extrémités ; vous profitez à plein d’un temps printanier et d’une palette d’odeurs en provenance directe de la ferme — conditions idéales pour des mouches qui brillent pas leur absence ; vous évacuez momentanément le couloir — dans le patio vous écoutez les voix qui râlent et les portes qui claquent — en plaignant vos chaussures en toile noire qui font désormais grise mine ; de retour, vous êtes sous le charme de la diversité des encastes et du jeu de lignes des échines ; demain à cette heure, certains cornus ne seront déjà plus et vous songez à les rassurer — savent-ils seulement pourquoi ils sont là ? Vous êtes parmi eux, tout simplement, et si ce n’est pas le bonheur cela y ressemble fortement. En haut je n’aurais pas trouvé les mots ; en bas, ils ne demandaient qu’à sortir.

* José María Cruz Ruiz, « Notas sobre el tamaño del toro », El Aficionado n° 26, Octobre 2007, pp. 13-14. L’auteur est aficionado, peintre, vétérinaire et membre fondateur de l’ANVET (Asociación Nacional de Veterinarios de Espectáculos Taurinos). El Aficionado, fanzine taurin édité et distribué gratuitement par La Cabaña Brava de Saragosse.

>>> Retrouvez sur le site la galerie "Corrales de Vic".

Images Novillos de Pérez de la Concha & Toro de La Quinta © Camposyruedos