06 mai 2008

Dialogue antique


- 5 ans, tous ! Du sage premier à la barbe fleurie qu'on aimerait qualifier de chenue si l'adjectif n'induisait un caractère blanchi hors de propos pour cette garde negra jusqu'au dernier arborant à son frontispice les attributs de Thanatos et la promesse des terres d'Hadès, tous avaient passé allègrement les 5 ans et se moquaient éperdument des convenances sur le sable dur du ruedo cévenol. Du fond du labyrinthe de leur cage sans lumière, 6 toros sortirent au pas et s'en allèrent répandre la rumeur du danger par les coursives et les gradins. Du prologue à l'exode, le choeur sentit souffler des effluves de combats antiques par les mufles de ces monstres rustres et froids et cette rumeur du danger, un danger impitoyable comme la foudre de la nemesis châtiant les héros ennivrés par leur propre hybris.

- De quelle tragédie viens-tu me parler ? Charon n'a pas semblé troublé. Le Styx et l'Achéron sont de l'huile que nulle rame n'a agitée.

- Je n'évoque nulle tragédie, je viens te parler d'une histoire vieille de plusieurs millénaires : des enfants des créatures du Tartare et que la terrible mère des douleurs a ressuscité du chaos. Je n'évoque nulle tragédie te dis-je, je n'entonne nul "chant du bouc", celui de la terreur et de la pitié, non ! Je chante celui du toro, qui saisit ton estomac où sommeille et s'éveille cette peur s'insinuant à travers ton corps. La peur est un nid de serpents comme la chevelure de la gorgone, elle vient pétrifier ton sang, aussi sûrement que le regard de la Méduse. La peur te donne à voir des adversaires invincibles, des chimères immortelles et tes muscles tétanisés laissent à ton corps vulnérable ton esprit pour seul bouclier.

- M'expliqueras-tu enfin à la nature du phénomène qui semble faire tressaillir tout ton être ? Tes élucubrations sont opaques à ma raison ainsi que les oracles rendus par la Pythie qui voit nos destinées dans sa retraite de Delphes.

- N'écoute pas ma voix, mais saisis ma main ! Tâche d'en percevoir le tremblement sourd, la réverbération du trouble qui s'est emparé de mes entrailles et qui les agite. Sens-tu ces sabots marteler inlassablement le sol de l'amphithéatre de cette cité du nord de nos terres ? Ces sabots se sont affaissés il y a peu, mais au-delà des montagnes du sud, gronde déja la fougue du troupeau aux pieds d'airains. Là-bas, vers les colonnes d'Hercule, dans la lointaine Bétique.

- As-tu rencontré la biche aux cornes d'or et aux pieds d'airains échappée de Cérynie et propriété d'Artémis ? Cette biche dont seul Héraclès parvint à s'emparer ? Ces fables ne sauraient tromper un esprit comme le tien !

- Non, j'ai vu par six fois sortir de l'ombre les noirs toros de Géryon qu'Héraclès ne parvint pas à dominer et à présenter à Thèbes. Ils sont sortis de l'ombre des âges, de temps immémoriaux, par six fois te dis-je et ont combattu les hommes armés de lances et de glaives. Ces toros avaient l'allure de celui des ravages de Crête et père du Minotaure, mais ils n'étaient pas blancs comme lui. Ils sont apparus noirs comme la pierre obscurcie par les péchés de nos mondes et l'hybris de nos héros. Noirs comme souillés par la duplicité de tant de ceux qui s'en prétendent adorateurs.
Six fois ils sont venus chanter le monde qui vacille et délivrer le message du temps qui n'est plus : l'un d'entre eux par dix fois fut percé par le centaure, dix fois, te dis-je ! Son sang fertile bouillonnait d'une colère noire, il n'entendait pas se livrer aux hommes et être immolé de façon docile. Son combat portait la vie des rites anciens. Quand l'homme a porté le glaive dans son côté en s'engageant droit sur ses cornes, il a vomi son sang et continué d'arpenter les terres qu'il avait conquises. Il avait les jambes d'airain de la biche, celle que Callimaque et Pindare évoquent dans leurs chants et son Artémis souriait, fière de son messager.

- Artémis la divine chasseresse t'est donc apparue ?

- Artémis, Diane ou Dolores, nomme-là comme tu le veux... Elle contemplait l'inextinguible flamme de la vie se consumer et se raviver, le toro se relever de ses blessures jusqu'à la mort et entendre trois fois les trompettes annoncer la nécessité de sa fin. Sa tête antique fulminait et à la porte des Enfers, Cerbère lui-même s'est écarté et a baissé ses trois têtes à son passage.

- Quel funeste présage viens-tu annoncer à notre monde, des créatures comme le taureau de Crète, furieux comme les chevaux de Diomède, montés sur les pattes de la biche de Cérynie et immortels comme l'Hydre de l'Erne ?! Me professes-tu le retour du chaos et des guerres titanesques ? Le serpent python de la peur s'empare de mon être. Méduse pose sa main sur mon épaule, je crains de me retourner et de croiser son regard...

- Le temps n'est pas à la crainte mais à la joie, Ami ! La terreur que j'évoque, je la devine dans l'esprit des héros qui combattent ces créatures et sacrifient à ce monde ancien que nous préservons des temps barbares. Le sang de ces monstres se répand sur l'autel et illumine nos coeurs qui voient revenir des enfers où on la croyait condamnée, notre fête sauvage, le creuset de l'héroïsme, ce jeu de feintes et d'esquives sur le socle duquel se fonde notre Humanité. Nous ne sommes pas morts, Ami ! Le temps est à la joie... à la joie et à la louange de Dolores !

Image empruntée à Wikipédia /// Héraclès et le taureau crétois, détail d'un lécythe attique à figures noires, v. 480-460 av. J.-C., Musée du Louvre.