03 mai 2008

En souvenir d’'Artillero'


Une fois n’est pas coutume, je me suis lancé dans une traduction, très approximative, ne rêvons pas, d’une chronique de Joaquín Vidal publiée dans El País. Que le maître veuille bien me pardonner. On ne m’y reprendra pas. Voici.

« Le Palacio Vistalegre s’est fait la réputation d’être le palais des chèvres (El palacio de las cabras) et maintenant celui de la chota (chevrette, cabri), qui est une nouvelle marque. Palacio de la Chota : ça sonne bien. C’est vrai que ça sonne bien : Palacio de la Chota. Et, par-dessus tout, il est important pour la bonne marche des affaires de se faire une réputation de quelque chose. Par exemple, l’appellation du "toro de Bilbao" est restée comme une marque de fabrique, peu importe ensuite qu’il s’agisse d’un mensonge.

A Las Ventas, ils lui ont collé le San Benito de "plaza de los elefantes con cuernos" (l’arène des éléphants cornus). C’était un autre mensonge évidemment, mais il y a des gens qui l’ont cru, et même des aficionados qui se sont empressés de se déclarer pour un
toro pesant une centaine de kilos de moins que ce qui est habituellement la norme ; uniquement pour ne pas être taxés d’éléphantistes…
L’origine de l’idée selon laquelle, à Madrid, on exige des éléphants cornus est ancienne.
C’était une après-midi où est sorti pour Palomo Linares, à Las Ventas, un
toro d’Atanasio Fernández qui dépassait les 600 kilos et qui fut protesté par les aficionados, indignés.
Une fois la corrida terminée, les
apoderados du torero, les frères Lozano, et la cour qui gravite autour des toreros, se sont montrés scandalisés par le fait qu’à Madrid on puisse protester un toro de plus de 600 kilos.
Plusieurs d’entre eux se sont même répandus en déclarations sur TVE, où ils jouissaient d’une certaine influence. Et comme ils en ont eu l’opportunité, ils se sont même laissés aller à insulter certains journalistes
*.
Cependant, la vérité était tout autre : ce que l’afición avait protesté ce n’était pas la taille de l’Atanasio mais ses cornes, qui semblaient afeitées jusqu’aux oreilles.
L’Atanasio, Palomo, ceux qui insultaient, la folie furieuse des responsables de la TVE de l’époque, tout cela provoqua un immense scandale.
Le San-Benito des "elefantes con cuernos" est demeuré et perdure, aujourd’hui encore, alimenté par de petites plumes aux ordres, qui se chargent de la besogne... »

Ce n’est donc pas une nouveauté, de tout temps les taurinos, en tout cas certains d’entre eux, ont présenté les choses à leur sauce quitte à les travestir pour mieux nous les vendre ou plutôt tenter de nous les faire avaler.
Ce n’est pas nouveau mais cela est en train de prendre une nouvelle dimension. Il semblerait en effet que certains militent désormais, quasiment ouvertement, pour une corrida sans picador, prétextant que l’évolution des choses est imposée par le public, que les taurins et les aficionados n’y peuvent rien.
Cette présentation de l’évolution est évidemment fausse, mais habilement présentée. Et on se dit qu’il n’y a qu’un pas, avant que des aficionados, de bonne foi, se sentent demain obligés de cautionner la corrida sans picador, uniquement pour ne pas se faire taxer d’ayatollahs à défaut d’éléphantistes.

Les toros qui sortent en pistent sont ceux qu’élèvent les ganaderos. La Fiesta qui nous est proposée est celle que conçoivent les taurins. Prétendre le contraire est une absurdité, comme il est absurde de prétendre que c’est le grand public qui nous pousserait tous dans une sorte de mièvrerie inéluctable. Le grand public mange ce qu’on lui donne à manger, ni plus, ni moins. Même si, évidemment, l’évolution de la société et des mœurs ne plaide pas en notre faveur.

Un exemple tout de même. Nîmes, au milieu des années 80, en pleine "mourousinade" et "bousquetisme" flamboyant. Un week-end de féria, avec un public que l’on devine, loin, très loin des rigueurs bilbaínas ou des conceptions venteñas. Un toro, 'Trompetillo'. Je sais, vous allez me dire qu’il était dopé. C’est vrai, mais ça ne change rien à l’exemple. Ce 'Trompetillo' donc, un week-end de féria à Nîmes, avec le public que l’on sait. Ce 'Trompetillo' a offert le grand spectacle de la bravoure, s’élançant de très loin, quatre fois si ma mémoire ne me trahit pas, pour pousser en brave le picador avant de dévorer tout cru Francisco Ruiz Miguel. Eh bien, il fallait le voir ce public, ses réactions, la banda jouant pendant le tercio de piques, l’émotion à son comble. Lorsque l’authenticité s’empare du ruedo, que vous soyez à Nîmes, Madrid, Bilbao ou Fourques, le public la sent, réagit et s’enflamme. Nous pourrions multiplier les exemples.

Voici une vision de l’évolution qui me semble très discutable, non pas dans son aboutissement, sans doute inéluctable, mais dans l’appréhension des responsabilités des uns et des autres.
Et sans doute est-ce le moment de se poser la question de savoir pourquoi la dichotomie torista/torerista, gentils et méchants, est ainsi artificiellement et savamment entretenue par ceux à qui elle profite. C’est tellement plus simple ainsi. Et cela a au moins le mérite de couper court à toute discussion. Vous avez dit dogme ?

Nous savons tous que la Fiesta s’offre à nous sous divers aspects, diverses facettes, parfois extrêmes, totalement opposées mais pas forcément incompatibles, loin s’en faut.
Pensez à ceux de nos aînés qui, il y a quelques années, se rendaient à la corrida concours de Jerez pour y voir des Domecq, mais des Domecq qui allaient trois fois, quatre fois au cheval.
Pierre Dupuy, à plusieurs reprises, dans la revue Toros, s’est fait une joie d’exhiber une photo montrant une bouteille de vin et un morceau de pique, cassée et aussi longue que la bouteille. Ce morceau de pique aussi long qu’une bouteille de fino était restée entièrement dans le corps du toro tout au long de sa lidia. 'Desteñido' était le nom de ce brave, un Domecq... Un Juan Pedro.
Car il faut bien être conscient que ce que les aficionados dénoncent aujourd’hui ce n’est pas le sang Domecq en tant que tel, mais c’est Jean-Pierre lui-même (le fils) et l’impasse dans laquelle il s’est fourvoyé et a conduit ce sang. La nuance est de taille.
Le toro « commercial » - le qualificatif est bien mauvais je vous l’accorde, mais il en est ainsi - n’est pas par définition un toro invalide, mou, mal présenté et surtout idiot. D’une certaine manière, Thomas l’a parfaitement et remarquablement rappelé dans son post sur 'Feudal'.

Tenez, encore un exemple. Un des grands moment de ma temporada 2007 aura été, à Madrid, un toro de Victoriano del Río nommé 'Artillero' qui avait plus que largement les capacités de supporter un tercio de varas digne de ce nom, et qui a eu ensuite la chance de pouvoir déverser ses charges vives et encastées dans la muleta de mon cher Manzanita. Un an après, je me souviens encore du nom de ce toro : 'Artillero'...

* A vérifier mais il s’agit probablement d’Alfonso Navalón et de Vincente Zabala père.