08 août 2008

"Un enfant, ce monstre que les adultes fabriquent avec leurs regrets"


M. Xavier Klein nous a adressé ce courrier dans lequel il propose sa vision de "l'affaire Michelito". Ça tombe bien, c'est un dossier qu'aucun des collaborateurs de
Camposyruedos n'avait eu le désir, l'envie ou l'intérêt d'évoquer. Bonne lecture à tous.

L'été est propice aux grandes manifestations festivalières : Castillon-la-Bataille, le Puy-du-Fou et autres guignolades touristico-historiques. Les Landes ne pouvaient être en reste et Hagetmau, à son corps défendant, s'est trouvé transformé en village gaulois façon Astérix.
Un vrai régal : personne ne manquait à l'appel, d'Abraracourcix, le chef à Agecanonix, l'ancien, en passant par Tullius Detritus, le semeur de zizanie, ou Cétautomatix, le forgeron irascible.
Ballet de journalistes, caméras nationales et internationales, gesticulations médiatiques en tous genres. Certains étaient à la fête, leur jour de gloire était enfin arrivé, on fourbissait les étendards, on brandissait les bannières, on sortait les badges du fourreau (vous savez celui avec l'aurochs rose et la devise passion, identité, choucroute...).
L'argument de la farce s'identifiait à Michelito, un petit bonhomme de 10 ans (le fils d'Astérix ?), récemment importé du Mexique. Que de désirs frustrés, de revanches à prendre porte lourdement ce petit bonhomme, jusqu'à son prénom, le même que son père ! Bizarre ! Bizarre !
Nos amis anti-corridas qui, depuis quelque temps, ajoutent à leurs tendances zoophiles (au sens étymologique) un penchant déclaré pour la pédophilie (idem), s'émeuvent de plus en plus de la confrontation de notre belle jeunesse avec la barbarie taurine. Par tous les moyens, il faut émouvoir les « mémères à leurs chiens-chiens » et sensibiliser cette France profonde et apeurée si sensible aux chants nauséabonds de certaines sirènes.
Etait-il opportun, pertinent, en un mot intelligent, de les suivre sur ce terrain particulier et d'opposer à leurs discours des prises de positions ou des propos tout aussi simplistes et réducteurs ?
Me trouvant d'aventure sur le parcours de la cohorte journalistique, je fus interpellé, d'aucuns se souvenant de mon lourd passé d'activiste pataphysique taurin et s'avisant de mon présent de président d'une commission taurine. Nulle possibilité de retrait vers un burladero, d'un recorte salvateur, il fallait aguanter. Et puis, il y avait là quelque délices à se différencier d'une manière de pensée unique et manipulée. En outre, il faut parfois avoir le goût de l'épiphénomène et tirer leçon de tout, l'insignifiant cachant souvent le fondamental.
Préférant en général la pensée au slogan et la réflexion à l'invective (quoique !), je me mis en devoir de répondre à une aimable et brune journaliste, entre les irruptions répétées d'un alguazil prématurément aviné, et d'un borracho de peña tardivement réveillé. J'ai donc parlé en tant que ce je suis, soit, dans le désordre : un être humain, un professionnel de l'éducation, un responsable politique en charge d'affaires taurines, un aficionado de vieille date.
10 ans, c'est l'âge du jeu pas de l'enjeu. Qu'un môme, dans le cercle familial ou associatif donne ludiquement quelques passes au cours d'une capea est une chose, qu'on le donne en spectacle en est une autre.
10 ans, c'est aussi l'âge où un enfant est encore dans « le désir de ses parents » et où il n'a pas accédé à l'autonomie et au libre arbitre. La personnalité des parents en question, tous deux protagonistes actifs du mundillo n'est, à cet effet, guère rassurante. Il est passé le temps où le boulanger engendrait nécessairement des boulangers, le vigneron des vignerons, le mineur de fond des futurs silicosés. Freud et Françoise Dolto sont heureusement passés par là. Comme disait Jean Cocteau : « Un enfant prodige est un enfant dont les parents ont beaucoup d'imagination. »
Pour un Mozart ou un Juli qui éclosent (et à quel prix), combien de petits génies brisés ! De José Jiménez Fernández, dit 'Joselito', « l'enfant à la voix d'or », qu'on pouvait croiser dans les bars interlopes de Madrid, dans les années 1980, avant qu'il ne passe définitivement du vocal à l'instrumental en se faisant coffrer au violon en 1990 pour trafic d'armes et de drogue en Angola, comme un autre prodige Arthur Rimbaud, en passant par Nadia Comaneci, Judy Garland. Tous propulsés dans une virtuosité et une réussite technique que leur mental et leur immaturité affective et sociale n'ont pu assumer, et qui en ont été psychologiquement destructurés.
D'un point de vue purement taurin, la question s'avère d'une actualité frappante. Si l'on fait partie des rares idéalistes qui conçoivent avant tout la corrida comme un combat, le sens de l'affaire Michelito prend une toute autre perspective : celle du sens de la corrida tout court.
En effet, le prix à payer pour ce combat, c'est le risque. Risque de blessure, risque de mort, risque d'invalidité pris par des adultes responsables en toute conscience.
Alors, de deux choses l'une : ou bien on soumet cet enfant à ce risque, ce qui est moralement inacceptable et ne saurait être raisonnablement envisagé ; ou bien on le confronte à des partenaires et non à des adversaires, ce qui relève de la parodie et de la farce et qui prive l'acte taurin de toute sa substance et de tout son sens.
C'est d'ailleurs l'alternative qu'on nous propose généralement dans les plazas de France et de Navarre. Dans cette optique, « l'affaire Michelito » prend valeur de symbole et il n'est pas indifférent de discerner à qui le « crime profite » en constatant la vibrionnante activité hagetmautienne des ténors du mundillo qui se sont employés à copieusement manipuler les édiles et à faire monter la mayonnaise avec des pudeurs de vierges effarouchées.
On les aimerait aussi combatifs et outragés sur des thématiques qui mettent réellement en péril l'avenir de la corrida et donnent de vrais arguments aux anti-corridas tels que l'intégrité et la faiblesse des toros, la décadence acceptée sinon organisée du premier tercio, la mort des « encastes guerriers », l'inaccessibilité des arènes aux classes populaires.
Un dernier aspect de cette tragi-comédie consacre son caractère pitoyable : celui de l'instrumentalisation réciproque. Certes, le premier sang, le casus belli, est à porter au compte des anti-corridas, mais cela reste dans la logique des choses et ils sont dans leur rôle, celui de la médiatisation simplificatrice et outrancière.
Ce qui apparaît moins glorieux, c'est non seulement de rentrer complaisamment dans cette fange, mais en plus d'y inviter les copains en les menaçant de les ostraciser et de ne plus les créditer du label d'« aficionado patenté et respectable » que certains se croient autorisés à décerner.
L'atteinte à l'enfance présumée pure et innocente constitue sous nos latitudes « l'abomination de la désolation », ce dont les anti-corridas, qui ne sont pas nés de la dernière pluie, usent et abusent à l'envie. Après un premier round perdu à propos de l'entrée des mineurs aux arènes, ils s'attaquent à la participation de ceux-ci. Convaincu de la nature de pervers polymorphes de ces petits monstres qui finissent toujours par nous ressembler et fervent disciple de W.C. Fields, je ne saurais partager ce présupposé angélique. Pour autant, ne facilitons pas la tâche au crétinisme ambiant et ne tendons pas les verges pour nous faire battre !
Entendre Michel Lagravère s'offusquer dans un pathos lamentable du traumatisme subi par ses charmants rejetons, c'est déjà ridicule, l'entendre justifier les becerradas par l'ouverture à un public défavorisé, c'est stupide, injurieux et justifie l'accusation d'une commercialisation sous-jacente.
L'un des charmes, et non le moindre, de la tauromachie réside dans la diversité. Variété des formes, des approches, des points de vue. La corrida conserve par essence, contre vents et marées, ce goût délicieux de subversion, cette âme rétive et scandaleuse si nécessaire par ces temps de pensée politiquement et philosophiquement correcte. Aussi est-il déplorable de constater la tentative actuelle de normalisation et de confiscation d'une parole qui doit rester diverse. De même, il est contestable que des "Assurancetourix" autoproclamés s'instituent porte-paroles derrière on ne sait quel « machin » (comme disait De Gaulle). D'un observatoire on observe, on ne parle pas !
Quelle légitimité pour parler au nom de l'Afición ? Après les badges, nous imposera t-on les uniformes et le pas cadencé des troupes qui montent au front pour défendre on ne sait quels intérêts ? Nous proposera-t-on une carte, l'adhésion au parti ?
Aux dernières nouvelles, la becerrada fut un grand succès, son maintien, une grande victoire. Le mundillo n'est pas l'Afición, loin s'en faut. Certains se contentent de peu et se bercent d'illusion. Il est des guerres qu'on gagne sur le terrain et qu'on perd dans les esprits. Les « observateurs » seraient bien inspirés de ne pas l'oublier.
Xavier Klein

* Titre extrait de l'ouvrage Les Mots de Jean-Paul Sartre.

Photographie Añojos d'El Palmeral Camposyruedos