30 septembre 2008

Bon courage les petits !


Le dimanche 5 octobre 2008 aura lieu à la Maestranza de Séville, hors abonnement, une novillada de Prieto de la Cal. Voilà de quoi enthousiasmer les aficionados qui auront la chance de pouvoir se rendre sur le paseo Colón, en leur souhaitant toutefois que les cieux au-dessus du Baratillo seront plus cléments qu’à l’occasion de la dernière San Miguel.
Cette affiche est toutefois révélatrice de la grande frustration à laquelle nous sommes souvent confrontés dès lors qu’il s’agit d’assister à des courses de toros ou de novillos issus d’élevages aux origines autres que celle du « mono-encaste » que l’on voudrait nous imposer.
Les piétons chargés de les combattre et de les mettre à mort sont Alberto Gómez, Miguel Ángel Sánchez et Juan Carlos Cabello.
Le Valencien Alberto Gómez, né le 2 septembre 1987, a fait ses débuts en novilladas piquées dans les arènes de sa ville de naissance le 9 mars 2007 (novillo 'Descuidado', n° 108, 450 kg, de l’élevage de Falé Filipe, silence après avis). L’année de ses débuts, il ne revêtira qu’une fois l’habit de lumière, à l’occasion d’une novillada des fils de Ignacio Pérez Tabernero à Valdepiélagos (Madrid), écoutant par deux fois le silence de la sierra madrilène. La course de Prieto de la Cal sera sa cinquième de l’année, et donc la septième de sa jeune carrière de novillero, pendant laquelle il n’a reçu au mieux que les applaudissements des quelques villageois présents.
Miguel Ángel Sánchez fait ses débuts au Puerto de Santa María le 8 juillet 2007 face à un novillo de Torrehandilla auquel il coupe une oreille, de même qu’à son second adversaire. Ce sera néanmoins son seul paseo de l’année. A ce jour, on ne peut mettre à son crédit qu’une deuxième apparition, dans la même place où, le 12 juillet 2008, il combat deux novillos de María del Carmen Camacho (silence et oreille).
Quant à Juan Carlos Cabello, né le 17 septembre 1989 à Málaga, il fait sa présentation de novillero dans sa ville natale le 4 août 2007, coupant une oreille à chacun des deux novillos de son lot d’El Serrano. On le voit ensuite le 14 septembre 2007 à Adanero (Ávila), où il coupe deux oreilles à un novillo de Manuel Gimeno Sánchez après avoir reçu une ovation à la mort du Sánchez-Arjona combattu en premier lieu, ainsi qu’à Villanueva del Rosario (Málaga) où il récolte quatre oreilles et une queue de ses opposants de l’élevage de Los Recitales. En 2008, il fait sa présentation à Las Ventas (novillos de Salvador Domecq, silence après deux avis et silence), en France à Mugron (novillos de Torrealta, deux oreilles et silence) puis à Garlin (novillos de Gallon, ovation après deux avis et oreille), courses auxquelles s’ajoutent celles de Villa del Prado (Madrid), Málaga et Guadix (Granada). Avec six novilladas et douze bêtes tuées, c’est donc, et d’assez loin, le jeunot le plus « aguerri » du cartel que présente l’empresa Pagès.
Si l’on résume, nous sommes donc en présence, face à un élevage pas particulièrement réputé pour sa facilité et qui au contraire, pour que ses exemplaires puissent être jugés à leur véritable valeur, nécessite de véritables lidiadores, de trois novilleros ayant tous débuté avec chevaux l’année dernière, et qui totalisent ensemble pour la saison 2008 onze paseos !

Que les choses soient claires, il ne s’agit pas ici de rabaisser la valeur de ces trois jeunes hommes qui feront sans doute de leur mieux, avec les armes qui sont les leurs, pour se dépatouiller avec les pupilles de Don Tomás. Mais qu’une arène de l’importance de Séville ne parvienne pas à (et/ou ne prenne même pas le soin d’) attirer des novilleros plus expérimentés, même face à ce type de bétail, est plutôt attristant. Et le constat vaut même pour Madrid (il suffit de se souvenir de la récente course de Moreno de Silva à Las Ventas).
Les aficionados a los toros qui sillonnent les routes de France et d’Espagne à la recherche de corridas ou de novilladas originales et exigeantes sont malheureusement habitués aux déconvenues résultant de la piètre lidia offerte à des animaux qui demeurent par conséquent bien souvent inédits. La simple évocation de certains encastes (Veragua, Saltillo, Vega-Villar, mais aussi Santa Coloma alors que la rame Buendía, par exemple, était encore réputée parmi les figuras il n’y a pas si longtemps que cela) suffit à faire fuir en courant le novillero le plus humble, y compris dans les villages poussiéreux de Castille. Aurelio Hernando nous confiait, à l’occasion de notre visite, l’étonnement de l’un d’entre eux, tout heureux d’avoir rencontré sur sa route un novillo certes encasté et puissant mais en même temps noble et qui lui avait permis de triompher, en apprenant ses origines veragueñas (le lot était composé de trois bêtes d’origine Domecq et de trois novillos issus de Veragua) ; le gamin en question, qui ne connaissait semble-t-il rien aux divers encastes et à leurs supposées caractéristiques respectives, resta bouche bée et rétrospectivement frappé de stupeur et d’effroi.
On touche ici l'une de nos plus grandes sources de tristesse : la difficulté de voir toréer les élevages que nous affectionnons particulièrement par des toreros talentueux et dotés du minimum de technique nécessaire. Et au lieu d'apprendre aux jeunes à toréer, au lieu de leur apprendre ce que ces toros et leur lidia peuvent offrir en terme d'émotion, au lieu d'inciter leurs aînés plus aguerris à faire de temps à autre le geste de les combattre, au lieu de faire comprendre au plus grand nombre que c'est là que se cache le salut, on préfère faire disparaître ces élevages, et avec eux la caste, la bravoure (sous toutes ses formes), la sauvagerie, bref tout ce qui différencie un toro d'un taureau, et ce au profit d'un spectacle soi-disant humanisé que l'on dénature ainsi avant de le faire disparaître totalement. Il s'agit-là d'un bon exemple de ce qui s'appelle "tirer par le bas". Très bas.