22 septembre 2008

Illuminations


L'oméga c'est lui... Hier, j'ai vu la faena que je rêve de cuajar un jour à Madrid, à Séville, à Franquevaux ou dans mon salon. Ce matin, sous la lumière blâfarde du métro, au milieu de tous ceux qui partaient à l'abattoir quotidien, j'étais malade, sale et fatigué par les kilomètres que je venais de mettre entre Barcelone et Paris ; j'étais en retard aussi. Je souriais tout seul en y pensant, en essayant de mettre un semblant d'ordre dans les flashs de la veille et sur le quai de la 14 à Gare de Lyon, j'ai tenté d'arquer mon corps et de ciseler une trincherilla aussi suave du plat de la main que celles de Barcelone. Fred me dit : "Le nombre de muletazos d'anthologie donnés ce matin dans les salles de bain en pensant à lui... J'ose à peine imaginer..." Tu m'étonnes !
J'ai rangé le carnet. Ça m'encombrait. Même sans prétention littéraire, il n'y avait rien d'autre qui venait qu'une vague transcription qui tirait du côté de la trahison. Inventer un nouveau langage, qui chante et qui bouge, essayer la poésie peut-être. Mais je n'avais pas la force de compter les pieds ni la présomption de déstructurer quoi que ce soit. Il aurait fallu pour cela partir de quelque chose et j'étais complètement démuni.

Respirons...

L'alpha de la tauromachie c'est le toro bravo, l'alpha couronné du fer d'Albaserrada ou celui de Zahariche, celui que vous voudrez, un autre peut-être... Hier, j'ai eu une idée de la fin de celle-ci, parce qu'hier, de toro il n'y eut que du "moderne", pas scandaleux, notez bien ! pas du "moderne" du Sud-Est français "abecerrado", non ! mais du "moderne" d'une arène d'une certaine catégorie, une plaza qui se tient à peu près bien à table. Hier, le toro est parti dans le "Blizzard of Ice", la "tempête" (An Eskimo showed me a movie, he'd recently taken of you, the poor man could hardly stop shivering, his lips, his fingers were blue... I suppose that he froze when the wind took your clothes and I guess he just never got warm. But you stand there so nice in your blizzard of ice, oh please let me come into the storm !*), balayé comme les 30 années d'alternative d'Esplá et sa probable dernière actuación ici, les efforts de Serafín Marín, essoré comme les 5 toros arrastrés, occulté comme les milliers de mouchoirs qui demandaient un indulto saugrenu, dénué de sens. "On ne peut plus donner de patte ? Donnons-lui le toro entier ! Et vivant !"
Ça ressemblait à une partouse géante comme celle de la foule venue assister à l'exécution de Jean-Baptiste Grenouille lorsque celui-ci "débouche le flacon" dans "Le Parfum" de Süskind, pour un peu, on serait allé chercher les 8 "antis" dérisoires sur le trottoir d'en face pour qu'ils profitent eux aussi. 'Idílico' était gracié, le monde, ennemis compris, pardonné de ses péchés. Hier il y avait un peu de toro donc, pas beaucoup, un peu. Nous avons même eu droit à un blanc, un vrai : ensabanado, pour clôturer l'après-midi, avec un fond de race et beaucoup de noblesse. S'il avait eu la chance de croiser Tomás, il aurait retrouvé le toril un peu égratigné lui aussi et tout le monde parlerait du "toro blanc". Hier n'importe quel animal un brin noble aurait eu la vie sauve au même prétexte d'avoir été touché par ce Tomás en état de grâce. Un scrofuleux guéri par sa foi en un monarque de droit divin. José Tomás est messie : il m'a montré la fin des temps.

L'oméga donc... On n'en a plus pour longtemps, certainement. Hier, c'était le faste viennois du début XXè : la palette dorée de Klimt, sans même le morbide visionnaire de Schiele, ce que Zweig appelait déja quelques années après "Le Monde d'hier". Luxe, calme et volupté, le relâchement, l'abandon, le paroxysme, le climax, le flottement au firmament de sa parabole d'un objet sur le point de chuter. Ceci ne sont que des indications... des idées pour vous faire la vôtre. José Tomás m'a tordu ; il m'a réduit en bouillie.

Hélène Galtier est venue au quite :
"Arthur Rimbaud ne voulait pas être Dieu. Il voulait être mieux que ça. Créer par exemple quelque chose comme un langage inédit à tout autre. Trouver le lieu et la formule. Avec les Illuminations il y est parvenu au-delà du possible, détruisant au passage des siècles de poésie. Arthur Rimbaud disloque et détruit le vers et devient en quelque sorte le fossoyeur de la poésie. Les Illuminations par leur grâce et leur magie consacrent la poésie aussi sûrement que sa propre fin..."
"A sa manière José Tomás agit de même. A force de pousser le toreo dans ses retranchements, il finira peut-être un jour par le faire disparaître."


Lisez la correspondance de Baudelaire et vous n'écrirez plus une lettre d'amour. Rimbaud c'est l'implosion de la poésie.
"Dans Génie Rimbaud écrit : "Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l'éternité." Ce génie dont parle Rimbaud n'est pas Dieu. Ce génie est l'ailleurs, là où se trouve le lieu et la formule. Là où se trouve peut-être José Tomás que nous acceptons de suivre parce qu'il "nous a connus tous et tous aimés. (...) lui qui nous aime pour sa vie infinie"...
"Ô ses souffles, ses têtes, ses courses ; la terrible célérité de la perfection et de l'action (...) Son jour ! L'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense" écrit Rimbaud. Il est effrayant d'avoir la faculté d'envisager cet ailleurs avec José Tomás... Il n'est pas impossible qu'il en coûte l'existence-même de la tauromachie.

Il est l'affection et l'avenir, la force et l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d'extase. (...) Son corps ! Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle !

* Extrait de "One of Us Cannot Be Wrong" de Leonard Cohen.


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