12 décembre 2008

You don't really care for music, do you ?


To Vanessa, my sister of mercy
and to Pepina, "wounded in the line of duty"

"You know I used to think I was some kind of Gipsy boy..."
Apres toutes ces années, est-il bien raisonnable de reformer une cuadrilla et repartir vagabonder sur les routes ? La question a dû se poser dans le cadre de la douce tyrannie familiale. Il faut bien convenir que les années ont laissé leur empreinte parcheminant le visage du maître et parsemant ses articulations de douleurs et de grincements du pire effet, surtout quand il s'agit d'entamer de rodillas... L'icône bénéficie pour compenser les outrages du temps d'une certaine bienveillance du public, mais qu'est-ce-que ce maigre capital en cas de fracaso ? Et les temps sont chaotiques pour les capitaux.
¡Vaya apoderado! !Me lo ha roba'o todo! Confier ses intérêts à une femme, voilà une drôle d'idée, aussi !, a ricané le mundillo. Les procès traînent et les pesetas se font attendre. Il est un âge où l'attente ne va pas sans le risque de verser dans l'éternité.
Alors contre l'avis de beaucoup, le vieux maestro a rappelé Rosco, son peón de confiance et l'a chargé de constituer une cuadrilla qui tienne la route. Et ce fut reparti. A travers les places d'importance, aux Amériques, en ce joli théâtre romain en France et en des enceintes plus modernes, ailleurs. Le recours physique n'est plus ce qu'il était, mais 40 ans d'ancienneté et un "métier" sans faille font le reste. Le Maestro retraverse tous ces lieux qui ne l'ont plus vu depuis 15 ans et parfois beaucoup plus. Il effectue chaque paseo couvert, l'allure est impeccable.

"And here's a man still working, for your smile"
Tout ceci sonne un peu pathétique, surtout que le bonhomme traîne une réputation de tristoune depuis longtemps. A voir son sourire, il semble que ce dernier avatar d'une vie rarement tranquille ne laisse pas d'aiguillonner son solide sens de l'humour. "Maestro, vous avez beau nous dire que vous revenez parce que vous êtes fauché, ça n'a pas l'air de vous déplaire, au contraire !" Les esprits chagrins (les rares qui seraient passés par l'Everest de la taquilla) en sont quittes pour bouffer leur montera, à 70 ans plus que tapés le vieux vous "lèverait" toutes les filles de l'assistance : de la barrera aux andanadas. Et facile en plus. Il y a pas mal de choses qui ne s'inventent pas : le duende, la torería... alors la grâce, tu imagines !!!

"That was New York, we were running for the money and the flesh"
Dans la maison de García Lorca à Fuente Vaqueros, une photo de Leonard Cohen est affichée parmi quelques autres. Il a adapté en 1988 "Pequeño Vals Vienes", extrait de "El poeta en Nueva York". Cela a donné "Take This Walz" et c'est exquis. Ça l'était déja 20 ans plus tôt dans toute l'horreur des claviers et saxophones des années 80.
Le poète à New York a fréquenté la bohème des années 60-70 au Chelsea Hotel, à défaut (peut-être) de Brigitte Bardot et de Nico, il a couché avec Janis Joplin ("givin' me head on the unmade bed, while the limousines wait in the street") qui, elle, cherchait plutôt à se taper Kris Kristofferson. Un processus d'éliminations successives grâce auquel la plupart des choses finissent par se produire. Le terme de poète ne lui va guère... On a gonflé ce mot de trop de boursouflure académique pour que cela convienne à son humilité triomphante. Et puis l'emphase avec laquelle on le prononce doit le faire ricaner. La poésie est un bon moyen pour séduire les filles, c'est déja beaucoup ! 50 ans que Cohen survit et revient de tout : de la drogue, de la dépression, du zen, de cette joie qui finit toujours par surgir par nos failles à travers les brouillards de médocs et d'alcool.

"Suzanne takes you down to her place by the river
(...) and she gets you on her wavelengths
and she lets the river answer..."

Dès les premières notes, Cohen aussi vous emmène sur sa "longueur d'onde" pour ne vous relâcher que bien des jours plus tard. C'est une question de sitio parfait, ce n'est pas un hasard si Cohen est l'auteur de "Master Song" - la chanson du Maître. Revenons aux toros, sa muleta serait moins puissante que caressante, mais vous transporte au gré de son rythme. Subjugué, vous êtes dans son temps, vous êtes dans son temple.

"It's time we begin to laugh and cry
and cry and laugh about it all again"
3 heures durant, le vieux maestro visite les querencias périlleuses de souvenirs et les abîmes vertigineux que creusent en lui la religion, la grâce, les femmes, les échecs, l'amour et ses chaînes. "His Golden Voice" est profonde et juste, tour à tour psalmodiante, chaude et enjôleuse, la posture superbe. Depuis juillet, la cuadrilla a épuré sa musique des adornos superflus. 12 cordes ou mandoline, Javier Mas fait monter "Who By Fire" au Créateur par la ligne directe et insuffle au "Partisan" le souffle particulier de l'héroïsme dicté par les circonstances. La guitare de Cohen égrenne ce temps de la fatalité : l'engagement à l'épreuve de la mort, la violence du destin, la survie et la folie nécessaire de l'espoir plutôt que l'exaltation. Grave sans solennité, si le répertoire harmonique est corto, il est incroyablement dense et précis.
"Famous Blue Raincoat" est revenue en grâce avec l'automne. Morceau plein de chaleur intérieure pour les frimas, teinté de nostalgie et de résignation, il y est question d'amours triangulaires, de jalousie et d'impuissance mais aussi d'innocence du désir et de pardon.

"I told you when I came I was a Stranger..."
Longtemps après que les roadies ont plié les tapis et remisé instruments et amplis, l'atmosphère du concert continue de vous illuminer, doucement, des jours durant. Master Cohen a salué et remercié, couvre-chef en main. Il vous a glissé quelques conseils pour ces temps qui courent, temps de chaos.

Ses textes sont libres de droits pour séduire les filles.

Pequeño Vals Vienes de Garcia Lorca, par ici...