30 avril 2009

Antonio Lorca


Depuis la disparition de Joaquín Vidal, je dois confesser lire la critique taurine actuelle avec beaucoup moins d’empressement, et même très irrégulièrement. A l’époque, entre Vicente Zabala, le père, autrement plus talentueux que le rejeton, et Don Joaquín, nous avions tout loisir de nous régaler de plumes affirmées, talentueuses et compétentes. Entre les deux et avec un peu d’habitude on se faisait son idée. On était d’accord, ou pas, mais il y avait matière. Ceux d’entre vous qui ne lisent pas l’espagnol doivent savoir qu’il y a, entre la France et l’Espagne, une différence énorme au niveau de la presse quotidienne. En France, mis à part le cas très particulier et marginal de Libération, les quotidiens sont d’une affolante soumission aux directions en tout genre. On peut même avancer sans trop grossir le trait que l’ensemble relève plus de l’agence de communication que de journalisme. Cela en devient même parfois grand-guignolesque pour qui, comme moi, parcours régulièrement le Midi «Libre». En Espagne, à l’inverse, la presse quotidienne est une véritable presse d’opinion, qui argumente, prend position et se mouille, au risque de déplaire.
Notre ami
Bastonito, à l’occasion du nouveau fracaso du señor Domecq à Séville (vivement que je lise son livre à celui-là) nous a fait parvenir le papier écrit par Antonio Lorca dans El País : Une larme pour la Maestranza. Vous le trouverez ci-après, modestement traduit. Je rêve du jour où Midi Libre, Sud Ouest et les autres écriront... Non, je plaisante ! Pour ceux qui n’ont pas l’habitude, ne vous affolez pas, c’est simplement ce que l’on appelle traditionnellement : la liberté de la presse, la liberté d’une presse indépendante.
Una lágrima por la MaestranzaANTONIO LORCA – El País, Sevilla - 29/04/2009
Permettez qu’une larme symbolique coule aujourd’hui sur cette page comme l’expression d’une douleur profonde face à la maladie irréversible dont souffre la plaza de la Real Maestranza de Sevilla.
Celle qui fut mère et maîtresse de la tauromachie est aujourd’hui l’image de la tristesse et de la décadence de la fête des toros. Quelle plus grande peine...
Il y a longtemps qu’elle est abandonnée par les aficionados, ceux qui au fil du temps ont donné le lustre et la splendeur à son histoire magique.
Elle est maintenant occupée chaque année par un public divers, triomphaliste et frivole, touristes et spectateurs d’occasion qui confondent le toreo avec un ballet maniéré face à un petit animal infirme.
Un public sans connaissances, velléitaire et capricieux, impropre à la catégorie qui a toujours été celle de ce temple.
Ainsi, règnent le conformisme et la négligence, symptômes d’une mort annoncée.
Les taurins font ce qu’ils veulent car le public ne fait pas ce qu’il devrait. Et avec son inhibition il permet la tromperie et la manipulation.
Parce que cette fête, sans un minimum d’exigence, n’a pas de sens.
C’est peut-être pour cela que le toreo authentique est moribond. Il n’y a plus de toros mais des petits agneaux, des petits chats, des petites souris, et des porcs aux démarches fatiguées.
Il n’y a plus de toreros, mais des señoritos qui font leurs profits de ce public d’alluvions.
Il n’y a pas d’empresa qui soigne la qualité de son produit, elle se satisfait simplement de rapides bénéfices.
Il n’y a pas d’autorité pour veiller à la pureté de la Fiesta, sinon pour fermer honteusement les yeux sur ce qui se passe.
La corrida d’hier aura été l’expression de la mort de la grandeur de la plaza de Séville.
On a perdu la sagesse et imposé la frivolité. On a perdu la majesté et l’ordinaire est aux commandes. Et la corrida de Juan Pedro Domecq fut ordinaire, invalide, decastée, impotente.
Est-ce que ce ganadero reviendrait à Séville s’il y a avait ici une Afición savante ?
Est-ce qu’une figure du toreo consacrée comme Enrique ponce reviendrait avec ces chats indignes de sa trajectoire ? Où est sa dignité de figure du toreo ?
Quelle honte de voir comment étaient applaudis les trapazos de Ponce à son premier, hors de combat. Qu’applaudissaient-ils ? L’arène semblait devenue folle avec une faenita irrégulière d’un Morante volontaire qui avait bien toréé à la véronique un petit toro sur rail.
Et Nazaré ne put rien faire avec un lot infumable.
Le plus grave est sans doute que les gens sont sortis contents. En fin de compte, nous sommes en féria. Mais la Maestranza est restée plongée dans une profonde tristesse.
Quelqu’un aurait-il un mouchoir, s’il vous plait ?

Photographie © Laurent Larrieu