15 avril 2009

Mauvaise blague... Chroniques amazoniennes


« Tu verras, tu peux pas la louper », m'avait dit Paulinho. Elle est là-bas, au fond de Ver-O-Peso. En traversant le mercado, fais gaffe à tes poches, gringo ! Ici, ils te repéreront vite et t'y verras que dalle. Ils sont rôdés, ces salopards. Tu la trouveras après avoir passé les étalages des poissonniers.
« D'accord, mais moi , je l'ai jamais vu, je sais pas la tête qu'elle a ! »
T'inquiètes pas, gringo ! Demande juste « Dona Colo » !!! Ici, elle est plus connue que "Fafa" !
Et puis Paulinho m'a largué là.
Plus connue que "Fafa" ? "Dona Colo" ? Ah , quand même...
Je ne savais pourtant rien d'elle. On m'a juste dit qu'elle trafiquait avec les astres, et réglait ses soucis de voisinage ou de mauvais payeur, à coups de pactes avec le Diable himself, auquel elle avait dû accorder quelques offrandes inavouables, du temps où "Dona Colo" avait encore la silhouette fine et délicate des jeunes déesses félines, brunes et cuivrées des bords de l'Amazone. On la disait un peu sorcière, "Dona Colo", et c'est pourtant elle que je venais voir, au Mercado Ver-O-Peso de Belém.
L'endroit était sombre, de plafond bas, mais il grouillait et les couleurs des flacons pleins de filtres d'amour et d'élixirs de vie éternelle pétaient en éclat sous les rayons de soleil qui pénétraient péniblement à travers les plaies du toit. Je ne tardais pas à repérer l'objet de ma quête, car en effet, on ne pouvait pas louper "Dona Colo", qui trônait là, superbement, Esmeralda d'une cour des miracles exotique et moite. Dans la pénombre de la galerie, je percevais les contours de son onctueuse silhouette de sexagénaire par les cordes de lumière qui venaient s'éclater sur ses rondeurs, car même le diable n'avait su ralentir l'oeuvre du temps...
L'oeil très noir sur sa peau brune, la vieille femme restait belle et les pousses de piments rouge vif qu'elle portait aux oreilles pour épouvanter les esprits malins, la rendait rayonnante, même…
Bref, elle m'accueillait devant son « autel », et la confiance instaurée entre le gringo et la sorcière amazonienne allait donner lieu à un étonnant étalage de cultures occultes et de croyances surnaturelles…
Pour quelques reals, j'étais donc venu demander à "Dona Colo", de me raconter un être cher, très cher dont je possédais une photo, là, avec moi. Un de ceux dont on ne veut entendre parler que de la bonne fortune. Par amusement, provocation aussi, sans doute parce que je ne voyais là que croyance et superstition d'un autre temps, je décidais de la lui montrer, et après quelques secondes, la sorcière me racontait tout ce que ses pouvoirs lui permettaient de voir et de savoir quant à mon « ami »...
Elle me dit à peu près ceci : « Un aigle... Je vois l'ombre d'un aigle qui plane, l'oeil étincelant et vif, porté sur l'horizon, la hauteur d'un souverain, et la quiétude d'un combattant résigné à ce qu'il sait faire de mieux : souffrir. Il luttera ardemment... pour l'Honneur... la belle affaire... chanceux, et riche, oui, mais... cela ne durera pas... Honneur à la con... Il ne devrait pas provoquer la mort avec tant d'arrogance et d'audace, tu sais... Il a l'air de le faire souvent... trop... mais... il va se faire mal... Je vois le triomphe, la gloire, le bonheur d'un roi, ça oui... mais je vois aussi le Drame, les larmes et la tristesse des hommes... quelque chose dans son regard qui ne va pas... ça ne me plaît pas... tout finira mal, gringo, tout finira mal... »

Foutaises, visions à la con, prédictions de merde, bavardages de vieille folle... Ça tenait pas debout un seul instant, tout ça... j'avais perdu mon oseille et mon temps... ça ne me faisait plus du tout marrer, ces conneries... Toutes façons, j'y crois pas !...

Silence.

Sur cette sensation pesante qui occupait gravement mon esprit malgré tout, je me séparais de cet oiseau de mauvaise augure de "Dona Colo", de Belém, du Brésil... et de la photo de mon « ami » aussi... un certain José Pedro Prados Martín... de Fuenlabrada...
Mais je m'en fous, puisque j'y crois pas...