07 août 2009

Saudade


Querida,

A distance d'un océan, nos conversations restent des babillages enfantins, une série de sonorités dénuées de sens en forme de figures imposées, vraiment rien d'intéressant. Il est surtout question de sentir ta voix, discerner ce qu'elle raconte en elle-même au-delà des quelques informations que nous échangeons car il faut bien sauver les apparences quand je t'appelle du bureau. Dans ta voix new-yorkaise des derniers jours, j'ai perçu tour à tour la solitude et la fatigue, puis l'entrain, la joie, la satisfaction de me revoir en octobre. Il faut que je t'avoue que j'apprécie ces conversations sans "toujours", ni rien d'autre que ces mêmes sonorités rabâchées depuis des mois, que nous finirons par user jusqu'à la corde. De ce que la distance nous laisse, les fautes de français et le bruit mouillé de ton accent sont des cailloux précieux.
"Gosto muito de você", je ne l'avais jamais faite celle-là auparavant. J'avais pourtant déjà connu la délectation de petits mots étrangers et de locutions charmantes dans d'autres langues et je t'avoue même qu'au-delà de la jolie musique, souvent cela fut sincère. C'est vrai, il y eut aussi de mauvais "je t'aime" soupirés au détour d'une étreinte, dans l'euphorie d'un début et la moiteur de l'extase. La raison, tu sais, dans ces moments-là... "Gosto muito de voce, muito muito muito... !", sans emphase, ne serait-ce que parce que c'est joli et que c'est Caetano qui me l'a appris.

Paris sans toi tient du défi du passé, il ne s'y passe plus rien à ma connaissance. Ce soir, dans le 2°, rien que des Coréens désœuvrés à la lisière de leurs restaurants japonais et des jardins ignorés où l'on peut toréer en dépliant la paume de la main. Et quelques autochtones à qui on a envie de demander ce qu'ils foutent encore là. L'avantage de Paris sur New York, vois-tu, c'est le fuseau horaire commun avec l'Espagne et les corridas dont des bribes me parviennent. Je trouverais déplacé d'apprendre en plein après-midi aux États-Unis que Morante a été blessé "ce soir" au Puerto. Cela me semblerait extrêmement impoli à vrai dire. Et puis cette clim' omniprésente, facile, indécente alors qu'au Puerto, il fait si chaud.

Chassé de la Plaza Mayor des jardins du Palais Royal où je sentais pourtant le duende monter et poindre le triomphe. Encore un assermenté armé d'une lampe de poche et dépourvu de goût. Cites de banderilles et quite par chicuelinas dans le reflet du Grand Véfour. Trincherillas rue Vivienne.

23h passées, alors que je n'ai envie de parler qu'à mon clavier et de n'écouter rien d'autre que des chanteurs juifs anglophones, me vient une drôle d'idée : appeler cette fille qui me fait de drôles de propositions et voulait m'inviter à boire un verre et lui dire que là, tu me manques, lui raconter la "saudade de voce" qui flotte dans l'air depuis des jours et surtout la nuit, par les rues. C'est obsédant, je t'assure, quand tout se calme et que je me réfugie alors sous l'empire de la nostalgie ! mais ce serait méchant et je ne suis méchant que malheureux, pas sous l'emprise de la surprise où me plongent ces impressions, t'ai-je dit que j'ai déchiré le bottin de celles que j'envisageais ? Tu es loin et je suis libre, tes défauts noyés dans l'Atlantique, et les week-ends fleurissent de promesses. Demain, dès la fin d'après-midi, j'emporterai ton souvenir ailleurs, dans le train puis les gradins pour la reprise du championnat. Ne m'en veux pas si tu dois partager l'espace avec Juninho, parti lui aussi, mais pour de bon. Dimanche, nous irons, toi et moi, faire un tour à Parentis pour les Raso de Portillo et voir les copains. Je pense que selon la tradition, Mario nous ramènera le soir à la gare de Dax. Après Orthez, Carla chantait à tue-tête dans sa voiture et il semblait ravi. "A pesar de voce, amanha ha de ser... outro dia !" Oui, amanha, sera lundi... T'enflamme pas, va ! Tout ce temps finira bien par passer... Gosto muito de você !