11 septembre 2009

Fils de Gascogne


A Fifine, à Eric...

Tête de pioche, le coffre large comme la calandre d'un John Deere devant 25 hectares à sillonner, des paluches comme des rames, et le cou épais comme un mât de goélette au large de la Pointe-du-Raz, avec un don inouï pour la déconne, voici le "Guit"... de Montfort... en Chalosse. Quand je dis le "Guit", imagine les Landes, imagine la Gascogne. Lève le blaire, respire, hume, et regarde autour de toi... Là, le vieux chêne, la vieille pierre, la brûme fraiche de septembre ou le lourd soleil de l'été, les tumades dans l'arène, les "cad-debs" des Boniface, la résine plus au nord, la graisse de canard dans le toupin... Imagine... Tout est là, le clocher de Gamardes, les pépinières de Mugron, ou le bar des Deslous, où j'allais chercher papa, sur la petite place de Préchacq, autrefois arène, aujourd'hui parking... Le petit lézard sur le mur chaud, les géraniums qui ont bien pris cette année, les collines jusqu'au ciel, le maïs partout, et tout au fond qui veille posément sur son Sud, de la ténébreuse haute-Landes jusqu'au Gers teigneux comme une bourrique, la chaîne des Pyrénées, superbe et tranquille, la plus majestueuse des grandes feignasses répandue comme une "maja desnuda" sur son sofa velouté. C'est la Gascogne, la belle Gascogne...

Le "Guit", il est paysan et puis gascon. Paysan dans ses mains, gascon dans son coeur, gascon dans ses rêves. Quand il ouvre le bec, le "Guit" - et Dieu sait qu'il l'ouvre - ça sonne fort comme une grosse caisse de "Copleros", et ça raisonne comme les rebonds des beuchigues de basket, discipline chalossaise avant d'être yankee, s'teuplait... T'entends l'accent qui roule de tout un peuple, celui des pets de mailloche et des coups de trombones, celui des pantzer de la première ligne et des pianistes de derrière qui font chanter le cuir, celui de "l'escalot" et des fiers à moustache, le béret vissé sur la caboche, l'épaule osseuse et l'oeil qui pétille d'orgueil, bras au ciel, aguantant la vache avisée qui va se faire un malin plaisir de t'exploser les costiches sur le passage et te chercher ensuite au sol, si par mégarde elle était pas encordée, la salope ! Et puis il est généreux, entier, le "Guit", un peu brut de décoffrage, certes, avec une gueule comme ça, mais toujours la gouaille chaude et souriante. D'ailleurs, même les droites, il les colle avec le sourire. Faut dire qu'il est pas avare, le type ! Il te décollerait la tronche d'une mûle à coup de patte velue. Un solide , je vous dis ! Un solidassss, même, comme on dirait par chez nous... mais on l'aime bien, le "Guit". On l'aime même beaucoup.

Bref, tu l'as compris, le "Guit", c'est les Landes, et les Landes, c'est le "Guit". D'ailleurs, tu peux bien te douter qui si on l'appelle le "Guit", au "Guit", c'est parce que justement, les canards, c'est son métier.
A la ferme de Guimont, tu zappes le bordel de ta vie d'ailleurs. Ici, on avance dans la vie au rythme d'un vol de palombes, d'une paire de vaches à traire, d'une armée de canards enflés comme ma voisine qui ne demandent qu'à s'en mettre dans le gosier puisque de toutes façons, ils savent faire que ça (comme ma voisine...), bref, on avance au rythme du temps qu'il fait, d'une pluie trop précoce, d'un soleil qui la ramène un peu trop, d'un orage qu'on sentait venir, ou d'une putain de grêle qu'on n'avait pas prévu... Allez va, t'affole pas, laisse faire, et attends que ça passe. Et puis c'est tout.
Le "Guit", c'est pas Boudha, la sagesse et la philo, ça lui colle pas aux artères. Lui, il aime la bonne vie, les fonds de marmites et les effluves tursannisées, quelques espagnolades et les haltes inopinées mais toujours opportunes, de quelques lurons, toujours bienvenus. Signe de réussite ? Son quillet de 6... cherche pas la piscine. C'est pour ces "connards de bourges", il te dirait. Pardi....
Et puis, ça fait faire du sport aux copains à l'heure de l'apéro, alors si ça rend service, pourquoi s'en priver ? Trois compères, un pion de jaune, pas trop de glace, et puis tè ! Un pet de douceur "jambonnisée" fraîchement coupée par la douce Fifine, et là, qui arrive, royal, lumineux, dans la splendeur de la douce clarté qui perce à travers les charpentes trois fois centenaires, sa Majesté le foie gras, sans lequel, tout passage dans le fameux estanquet montfortois n'aurait plus aucun sens. C'est la vie, celle du "Guit", et c'est pas plus compliqué. La mamie qui a claqué, le tracteur tout neuf du voisin, et le patac dans la mêlée relevée de dimanche dernier, on aborde tous les sujets. Et si ça vole pas haut, c'est quand même toujours bien...

Autour, les hirondelles qui gueulent leur bonheur, les photos des amis et du bon temps qui passe, et puis, les toros, et les souvenirs d'aficionados. Ah ça oui, le "Guit" est aficionado. Comme tout Landais qui se respecte, ma foi. Les vaches, les toros, les tumades, la corne, un intérieur, Jacky Lanot et Fédérale, c'est dans le sang, c'est dans le ciel, c'est dans la terre, c'est dans l'air que chacun respire goulûment ici depuis toujours. Rachou, les écarteurs gitans, Morante ou Fundi, c'est pareil. Braves jusqu'à l'inconscience, ils mériteraient d'être tous Landais, tè ! Sur les murs jaunis, des "Ducasse", la tronche d'Ojeda, de Mendes et de Joseph Coran, des histoires d'arènes, un bout de corne de machin, des bouquins poussiéreux, et des "trastos". Si, si, des "trastos", avec une vraie épée de mort, et même un "traje" vaguement trouvé dans un grenier, dont l'histoire n'appartient qu'à lui. Il aime les vaches, le "Guit", il aime les toros, et tout ce qui va autour, avec le pion avant, pendant et après. La corrida, la course landaise, c'est la fête des Braves, de tous les Braves... "Guit", il est pas du genre à batailler. Pour lui, c'est simple, un bel intérieur en concours ou des tercios respectés, et tout va bien. Lui salope pas les piques, ça va me le foutre en rogne ! Il te dira qu'un toro, ça se respecte, et qu'une vache, ça "fule", et basta ! De toute façon, on va pas à la course pour voir des danseuses. Pas chez nous ! Alors, oui, d'abord, la bestiole. Et si ça peut foutre quelques pets de testons par-là, et ben tant mieux ! Faut que ça envoie, là au milieu. Ah oui, c'est un rude, le "Guit"... Il aime la poussière, il aime le patac, les hils de pute qui en veulent, les yeux dans les yeux, les poings dans le pif, à la landaise, quoi. Apre et généreux. Bref, "Guit", il aime la Fiesta Brava, en vrai bon Landais, en vrai bon Gascon, il aime la bringue qui va autour (ah ça oui, il l'aime, la bringue !) en vrai bon Landais, en vrai bon Gascon... autant que la délicieuse petite brûlure de l'Armagnac au fond de la gorge...

Séville, les Andalouses précieuses et les culs pointus à la tignasse huilée, c'est pas son monde. Lui, c'est Dax, Bayonne, Montfort et Pampelune plus que tout, et le reste, à la rigueur, peut-être, mais faut voir... C'est qu'il a aussi les bêtes à soigner, le "Guit", et qu'il en vit, de ses bestioles... mais elles lui enlèveront quand même pas SA sacro-sainte semaine de Sanfermines, son Las Vegas à lui, son Saint-Tropez, son Graal de juillettiste... Ah ça non ! Ils peuvent toujours gueuler, les palmipèdes, ça lui fera pas passer le goût unique et savoureux d'une course de Dolores, de Gago ou de Miura avec 30 grosses caisses dans les oreilles, 543 trompettes et 428 trombones, accompagnés de quelques kilos de potchas finement préparées, les txuletas délicatement braisées, et puis le foie, Grand Seigneur de Chalosse, que la douce Fifine lui aura mis dans la besace avant de partir "à la fête"... et du rouge, aussi... un peu, au cas où il en manquerait.

Voilà, c'est ça, le "Guit", un aficionado gascon, rude et tendre à la fois, attachant comme sa terre, pour qui les vaches, les toros, la fête, la fête, les toros, les vaches... et la joyeuse compagnie qui va avec. Un vrai, de chez nous... de ces Landes qu'on aime, de mes Landes que j'aime. Tout un joli monde, en fait...