07 octobre 2009

L'hiver


L’hiver est à nos portes. Froid, humide, d’un gris qui tire sur le noir sali. Il frappe déjà et nous allons, c’est forcé, ouvrir cette chienne de porte. Pour l’aficionado, c’est le temps de la réflexion sur la temporada passée et des espoirs sur celle qui viendra, après l’hiver. Et plus les hivers se comptent et moins les espoirs grandissent et l’on se sent finalement comme ces Gardes Suisses qui fredonnaient en 1793, la mort dans les chaussettes, que
« Notre vie est un voyage
Dans l’hiver et dans la Nuit,
Nous cherchons notre passage
Dans le Ciel où rien ne luit
».
Et plus les hivers se comptent et moins les toros ne comptent. Parce que des toros, pour en voir un, faut de plus en plus le creuser le "passage" "où rien ne luit", faut en subir des passes, des redondos inversés, des cambiadas de début de faena sans cesse rejouées, du toreo de ligne droite savamment et délicatement proposé à des animaux occis dès après l’unique vara et fabriqués pour être soumis avant de se battre ! Le "toro à la bravoure moderne" ! "Moderne" ! Le terme est facile et sous-entend qu’il y aurait une bravoure "ancienne" forcément dépassée et hors des goûts du temps présent. Et les derniers tenants d’une bravoure simplement réelle et complète (c’est-à-dire plus ou moins exprimée lors des trois temps du combat), et non pas ancienne, deviennent pour de dangereux et fols fanatiques nostalgiques d’un temps révolu au cours duquel les chevaux déversaient viscères et estomac sur le sable rougi d’un spectacle préhistorique.
L’hiver est à nos portes et comme chaque hiver, l’aficionado va tenter de tirer les enseignements de la saison défunte. Et comme chaque hiver, nous aurons droit aux mêmes rengaines de la part des mêmes que l’on entend que l’hiver parce que c’est la période idéale pour engloutir, en groupes, les palombes que le cousin Robert a chevrotiné le week-end dernier. Et comme chaque hiver, ça bouffe, ça remet des prix à consonance espagnole et à contenance molle, ça rouspète que les piques "ça va pas", qu’il faudrait quand même des toros moins ci et beaucoup plus ça et qu’il serait souhaitable que change le cours des choses. Et ce, dans le meilleur des cas ! Et comme chaque hiver, la FSTF va tenir son congrès (c’est déjà fait) et l’UVTF va se réunir. Ils vont taper du point sur la table, de toute la force de leur main gantée. Et comme chaque hiver, il va pleuvoir des rapports, neiger des recommandations et tout ce petit monde va finir pas se glisser dans l’épais manteau noir du devoir accompli en pétant un grand coup parce qu’il y avait des oignons mélangés aux patates.
Et comme chaque hiver, au lieu de pondre leur inutilité tout seuls comme des grands, il vont se faire aider et même guider par d’autres, un seul en l’occurrence, vers des cieux assombris qui les éloignent un peu plus d’une esquisse d’efficacité voire d’utilité. "Piques andalouses", "dangereux et millionnaires antis", "bravoure moderne"… A chaque hiver son soi-disant débat, à chaque hiver son gros nuage jaune qui annonce la grêle et qui cache la pluie.
Et cet hiver, de quoi allons-nous donc causer ? Que va-t-on encore inventer pour éviter que l’aficionado ne désigne du doigt les vrais maux de la corrida ? De quoi va-t-on gaver la tête de ces chers défenseurs de son intégrité, entre le salmis et le gigot ?

Etant donné que Camposyruedos est un repère mal famé d’odieux rebuts de l’espèce aficionada et que nous avons surtout envie de rire cet hiver, voici une liste (non exhaustive) de sujets possibles à aborder au coin du feu pour sauver la fiesta brava, comme chaque hiver :
- Les femmes doivent-elles être accompagnées ou non pour pénétrer dans une arène ?
- Ne serait-il pas plus distrayant de remplacer purement et simplement le 1er tiers par une danse locale (exemple : sardanes en Catalogne, démonstration de flamenco en Andalousie, bourrée en Poitou…) qui aurait l’effet reposant d’un entracte avant le début de l’interminable faena ? De toute façon, les piques ne servent plus à rien.
- Les toreros avec de l’embonpoint sont-ils actuellement plus artistes que les autres?
- Ne faudrait-il pas également penser à réduire des ¾ la taille des harpons des banderilles et dans le même temps, fixer sur celles-ci des sortent de pétards comme sur un gâteau d’anniversaire avec à la clé une petite chanson joyeuse pour égayer ce bon public qui refuse aujourd’hui de s’ennuyer sur des gradins ? "Et on fait tourner les serviettes…"
- Le prix de la bière au bar des arènes doit-il passer à 50 cents d’euros ?
- Au sujet du public, peut-être serait-il souhaitable d’envisager, pour redonner de l’attrait à ce spectacle, de mettre en place un système électronique d’applaudissements automatiques comme dans ces émissions de télévision où tout paraît tellement naturel et où l’on en arrive même à faire applaudir le chien du présentateur.
- Militons pour l’utilisation de trastos bio, en accord avec le développement durable et désinfectés avant utilisation. N’oublions pas le Grenelle et les 'Desgarbado' qui chopent des maladies!
- Pourquoi ne pas imaginer que les arènes investissent dans des écrans géants permettant de rediffuser, au ralenti et dans les secondes qui suivent, les magnifiques estocades caidas voire les éternelles trincheras du dernier génie de la tauromachie…il en naît un par jour sur certains médias ?
- Pour rendre encore plus heureux ce public qui ne demande que ça, et qui, nous le répétons, refuse de s’ennuyer, il serait intéressant de lui faire entonner un hymne fédérateur et universel en début de corrida, avec la main sur le cœur bien évidemment (oups, c’est déjà fait ça !) et la larme à l’œil !
- Quelle sanction pour une présidence "triste" ? La mort ou… la mort ?
- Si le 1er tiers venait à survivre, quid de l’utilisation des pottock voire des poneys Shetland ? Question stupide, le premier tiers est mort !
- Il conviendrait aussi d’installer au bas du burladero des tapis de mousse façon salle de gym pour le confort de quelques photographes dont la dernière lubie révolutionnaire est de faire découper ce burladero pour shooter (en rafale !) en contre-plongée comme le faisait Lucien Clergue dès les années 1960 ! Révolutionnaire !
- Que soient distribués les sorteos des toros de la course à tout cet heureux public avec les mentions spéciales destinées à son éducation : toro n° 15, negro, né en mai 2006 / l’éleveur le voit faire une vuelta. Ou, toro n° 16, colorado, né en mai 2006 / l’éleveur le voudrait comme semental. Ou encore, et mieux, toro n° 0, blanco, né en mai 2006 / ne pas trop piquer. Une autre, ne résistons pas, toro n° 2, sardo, né en mai 2006 / chatouilleux.

Vous le constatez, la tauromachie "moderne" n’en est qu’à ses balbutiements. L’hiver va être long et les débats forts animés comme d’habitude (lol). Et comme chantaient les Gardes Suisses, « Nous cherchons notre passage, Dans la nuit où rien ne luit ».

Photographie L'hiver à Salamanque © Camposyruedos