05 décembre 2009

Fausses évidences


C’est toujours la même question.
– "Y sont bien les toros aujourd’hui ?" Sous-entendu, auront-ils le comportement que nous sommes en droit d’attendre d’un toro de combat, nous qui n’y connaissons rien ; nous, touristes traînant la patte dans Séville endormie, nous qui allons assister dans dix minutes à notre première course de taureaux de notre vie (de novillos en l’occurrence) ? Parce que tu nous en as parlé des toros avant cette novillada, parce que tu nous a donné l’envie d’y assister et parce que donc nous nous faisons une infime mais bien réelle idée de ce que doit être le comportement d’un toro de combat. Agressif, puissant, brave (ça, nous n’avons pas tout compris), montrant sans cesse l’envie de charger et le faisant avec certaines manières (tu nous as dit que nous comprendrions mieux ce que tu disais sur les gradins).
Et je vous ai répondu que, malheureusement, ce n’était pas aujourd’hui que vous alliez pouvoir ne serait-ce que toucher du doigt toute l’étendue et toute la grandeur du comportement d’un toro de combat. Je vous ai répondu cela comme une évidence - et elle en était une pour moi - en regardant sans m’y intéresser vraiment les vendeurs ambulants s’abriter du soleil.
- "Ah bon ? Mais pourquoi ça ne serait pas bien aujourd’hui ?"
Parce que ! C’est comme ça, aujourd’hui ça ne sera pas bien, c’est tout, c’est comme ça ! Il aurait été nécessaire que je vous explique Domecq, le mono-encaste, le toro pasteurisé, l’évolution de la tauromachie, Pepe-Hillo, Francisco Romero, El Gallo, Manolete, El Cordobés et Enrique Ponce. Il aurait fallu que je parle alors que je n’en avais aucune envie. Il aurait fallu que vous entendiez des mots insensés comme encastes, généalogie taurine, sélection, tienta. C’est cela que vous vouliez ? Engloutir en dix minutes un magma à peu près aussi indigeste pour vous qu’eut pu l’être un cassoulet casero pour un anorexique ? C’est ça ?
Et puis je n’avais pas envie de parler. Il faut se taire avant une course, c’est mieux ainsi. Je ne saurais dire pourquoi, mais c’est mieux ainsi. Je voulais seulement me laisser bercer par le déambulement détendu des coussins rouge et jaune. Je voulais seulement me taire... et attendre.
- "Ils étaient bien quand même les toros ! Ils avaient vraiment envie de combattre, du début à la fin, non ?".
Déjà, personne n’était parti avant la fin. Personne n’avait eu la nausée. Vous étiez tous restés, en plein soleil, le soleil d’Andalousie.
Personne non plus n’avait déclaré que j’étais un grand con. Vous auriez pu et vous auriez eu raison. Bien sûr qu’ils avaient été bons ces domecqs que je ne connaissais pas, ils avaient même été excellents. Braves, à l’affût de tout, mobiles et piquants à souhait, un "torrente de casta brava" pour paraphraser Joaquín Vidal. Je m’étais planté dans mes pronostics de type gonflé de ses certitudes et vous vous en étiez rendu compte. Ce n’était pas difficile de s’en rendre compte. Au moins aviez-vous appris que la corrida n’est qu’une incertitude sans cesse renouvelée, à tous les niveaux.
Il existait donc en ce bas monde des domecqs qui pouvaient plaire aux amoureux de toros de combat. Oui, ça existait ! J’avais du mal à l’accepter et j’espérais peut-être secrètement que cette novillada sévillane ne soit qu’un heureux et ponctuel accident. Je savais qu’un jour lointain les domecqs avaient été de bons et passionnants toros mais je constatais aussi souvent que les élevages issus de ce sang étaient pour beaucoup dénués d’un quelconque intérêt. En traversant les ombres de la nuit andalouse, j’énumérais les noms de certains que j’avais déjà vu combattre : Daniel Ruiz Yagüe (détenteur du fer historique des coquillas !), El Torero, Juan Pedro Domecq, Santiago Domecq... C’était mauvais tout ça, faiblasse, molasse, bonasse... Putain je n’aimais pas ! Mais Guadaira, je m’étais planté, ça existait !
Et ça existe encore semble-t-il. Au regard des résultats de ces trois dernières années, il semblerait que le comportement se complique un tantinet pour ces jandillas des années 2000 mais cela reste un fer à suivre de près, de très près même.
Je n’avais pas eu le cran de l’avouer complètement à l’époque, en traversant les ombres de la nuit, en énumérant les édifices laids du toro moderne et modélisé, mais je m’étais senti con dans mes évidences. La corrida n’est pas une évidence, c'était certain !

>>> Retrouvez sur le site, rubrique CAMPOS, une galerie consacrée à l'élevage Guadaira.

Photographies Un novillo de Guadaira lidié à Séville en 2005 et le mayoral au milieu des futurs novillos de 2010 © Camposyruedos