13 juillet 2010

Céret : comme prévu


A Sébastien, planta aficionada vindicative d'une dizaine d'années (et assis derrière moi aux arènes).

Comme prévu, il faisait chaud sur la Catalogne Nord ou Sud et lourd de part et d'autre des Albères. Comme prévu Céret, perdue dans son décor lointain, a servi de base de lancements pour divers équidés au fil des toros passant mourir par là. Quick, Quince ou Paco, que sais-je : la cuadra Bonijol a connu des perturbations aériennes ces jours. Qui se voyant Pégase et contrebraquant dans les cieux ainsi que dans sa légende avérée, finit quatre fers en l'air, Bellérophon pataud en vrac sur le sable, qui prétendant suivre les traces d'Appollo s'avéra Challenger rétamé contre les planches, qui Spoutnik en orbite géostationnaire s'abîma telle une station Mir dans l'océan de solitude inondant ces instants de dangers. Caídas dantesques : résistance admirable et féline aux coups de boutoirs du destin. Héroïsme anachronique de cavalerie polonaise, stoïcisme contraint d'homme-grenouille voyant plier la cage au baiser cruel du squale, aguante démesuré sous la pluie des tablas voltigeurs. Batacazo : final de trayecto.

« ¡Aquí hay un par! » observe Bego quand le Mexique se joue l'objet en question sous le cagnard et face au Veragua. Notre muse secrète a trouvé le leitmotiv du week-end. Toreros de tous métaux, monosabios costauds et palefreniers garibaldiens associés, chacun à son poste, ça va secouer. C'est chaud sur le ciment numéroté, bouillant en bas et quasiment tout le monde aguante.

Comme prévu : supposé, espéré, prié. Attendu ? Attendu que les toros sur le papier se froissent trop souvent au contact de la réalité, l'impression de mauvais déjà-vu assortit tout "prévu" d'un "pourvu" adverbial et exclamatif. On n'est jamais trop prudent, on est surtout prévenu. Les férias ne sont jamais gagnées d'avance en dépit du soin attaché au choix des ingrédients et si tout ne fut pas parfait pendant deux jours, les corridas s'avérèrent toujours pour le moins entretenidas. Deux jours en forme de récompense, d'encouragement. Un cageot entier de poires au pays des cerises pour la persévérance, la soif de caste, les longues soirées d'hiver et les jours difficiles qui continueront à venir. Avec un peu de recul, je plains ceux pour qui ce fut le premier shoot de toros, pour la quête d'intensité qui s'en suivra. Ça leur coûtera un bras. Le concept reste extrême, âpre et limite, berceau outrancier sur sardine sobrera chez Fidel San Román, poids des novillos pudiquement dissimulés, maintien de Paco Chaves, un puyazo de plus (prononcez pouillaaasse) pour la gourmandise ou par nécessité, toros de tous âges et tailles, larmes inutiles et émouvantes de Meca et Aguilar quand deux (vueltas) valent mieux qu'une (petite oreille), du Vázquez qui se crame consciencieusement au premier tiers, des Portugais jetant un regard affamé au cheval tels des cannibales tombant sur un missionnaire et un Albaserrada punk et décoloré pour clore le cycle... En voulez-vous ?

Vous n'emmènerez jamais votre belle-mère voir une corrida là-bas (déjà votre copine ça ne sera pas chaque année), parce qu'après avoir trop cherché la fraîcheur dans votre bière sous les platanes périphériques entre deux courses, vous ne sauriez décemment lui proposer une sieste à l'ombre des pins dans le parc, qu'elle n'a pas l'odorat raffiné pour apprécier les effluves de crottin ni l'audacieuse politesse de demander au voisin de tendido d'allumer un autre cigare pour le bonheur du mélange. Parce que Céret reste un lieu d'amateurs à partager avec les fols amis, les amoureux transis ou dépités, les Madrilènes égarés et les futurs mariés qui en fait ont annulé. Parce qu'un match de foot à la saucisse, fut-ce une finale, c'est beaucoup après douze toros dans la journée. Parce qu'elle a un gros cul sur les gradins étroits et que le mien déborde déjà un peu mais surtout parce que si par hasard elle s'avérait anti-taurine, il n'est pas exclu que la prochaine fois, on préfère lâcher le toro.