30 juillet 2010

Larmes de crocodile


Il faut bien le dire, ma revue de presse n'est pas allée bien loin - désolé par le niveau de ce que j'ai pu lire et entendre dans notre langue sur la décision du P
arlament, je n'ai guère poussé avant les recherches. Le journalisme espagnol a certainement bien des défauts, mais il a la qualité d'appeler souvent un chat un chat (un mafieux un mafieux aussi) et d'utiliser des termes que les taliban que nous sommes, avons parfois des scrupules à publier. A propos de taliban, avez-vous lu l'histoire de Bâmiyân jeudi matin chez le cèpe argenté ? Vous y apprendrez, et les principaux intéressés également sans doute, que le mouvement des taliban (qui émergea en 1994 au beau milieu d'une guerre civile afghane) a en fait bouté les Soviétiques sur l'autre rive de l'Amou-Daria en 1989... Mais que sont 5 ans (même à rebours) dans l'histoire, n'est-ce pas ?
Mais place à Antonio Lorca d'El País dont l'article, "Lágrimas de cocodrilo", valait bien une modeste traduction (gracias a Bego por la ayuda en "los puntos vocabularios"...) :

Larmes de crocodile
L’interdiction est désormais une triste réalité. La politique a été le bourreau de la fiesta de los toros, rejetée pour son identité espagnole. Mais le terrain était laissé en friches depuis la mort de Pedro Balañá Espinós, l’un des plus grands imprésarios taurins de l’histoire. Après la mort de Don Pedro, personne ne suivit ses pas et alors que l’Afición languissait, la politique s’est mise à occuper le terrain, lentement mais sûrement et a miné toutes les sphères de l’édifice taurin de Catalogne jusqu’à atteindre son but final.
La politique est entrée en trombe par la porte des cuadrillas et la liberté est sortie tête basse, meurtrie et blessée par celle de l’équarrissage. Elle a fait peu de cas des gestes qui ont eu lieu à El Torín, Las Arenas ou à la Monumental, ces trois arènes qui avaient en leur temps fait de Barcelone le centre du monde taurin, comme dans d’autres arènes de toutes la Catalogne. La politique a essayé de donner le coup de grâce au sentiment, à l’art, à l’émotion et à la grandeur de la tauromachie. Et le pire dans tout ça est que ceci fut fait sans nécessité aucune. Il est vrai que les aficionados catalans sont peu nombreux mais pourquoi interdire à une minorité le droit de profiter d’un spectacle dont la faiblesse du pouls indiquait déjà l’agonie ? Pour protéger les animaux ? Les députés abolitionnistes savent que ceci n’est pas la vérité. Le toro, dans ce cas, n’a jamais été rien d’autre qu’une excuse.
La décision prise par le Parlement catalan est donc bien gravissime mais pas moins grave que celle qui incombe au monde du toro qui, pour la première fois peut-être de son histoire, se retrouve complètement démuni face à sa honteuse misère.
Le problème le plus grave est que de nombreux bons aficionados désertent chaque année les arènes, las de supporter stoïques un spectacle cher, dépassé, ennuyeux et manipulé. C’est un fait que le toro a été dénaturalisé, qu’il n’est plus cet animal puissant et hautain des temps anciens, mais au contraire un malade invalide qui fait de la peine. La fraude s’est frayée un chemin en toute impunité. On ne parle plus d’afeitado mais il existe le soupçon généralisé qu’aujourd’hui peu de toros sortent avec des cornes intactes. Il est tabou de parler de substances qui modifient le comportement des animaux : de drogues en fin de compte. Il n’y a plus de respect pour le protagoniste principal de la Fiesta. Et les toreros ne sont plus des héros mais des infirmiers se prenant pour des danseuses qui se jouent la vie, indéniablement, mais sans donner d’émotion. Les ganaderos, qui sont au service de ces dites figures, ne sont plus maîtres dans leur finca et se sont dépouillés de leur propre chef de la dignité que leur confère leur condition de chercheurs en génétique autodidactes. Tous : toreros, ganaderos, organisateurs, apoderados, etc., ont fait de la Fiesta une farce, une tromperie...
Quelqu’un a-t-il entendu les figuras actuelles, les ganaderos prétentieux, les empresas d’arènes de première ou les apoderados célèbres parler de modernisation du spectacle ou de régénération du toro bravo ?
Les taurins constituent un milieu curieux. Ils ressemblent à des gens ancrés dans une autre époque, sans aucun sens de la modernité, ni solidarité, astucieux, méfiants et cupides. Même les jeunes qui débutent se trouvent contaminés par ce virus et ressemblent vite à des retraités. Ce qui préoccupe le taurin, au sens général du terme, est en fait l’argent qu’il pourra gagner rapidement mais pas le présent ni le futur de la tauromachie.
C’est un peu tout ça qui pourrait expliquer que le mundillo taurin ait laissé filé le match en Catalogne. Face à une lente évolution des us sociaux et la pression continue des nationalistes, les taurins se sont retirés dans leurs quartiers d’hiver et laissée pour perdue une communauté qui avait été emblématique pour la Fiesta. La nouvelle situation exigeait des exposés imaginatifs et de nouvelles méthodes, mais c’était trop demander à un collectif aussi sclérosé. Au contraire, les taurins ont fui et laissé le champ libre aux abolitionnistes. Il serait injuste d’oublier une autre cause qui n’est pas moins importante : les corridas de toros n’ont jamais réussi à s’implanter solidement en Catalogne, pas plus que la tauromachie ne fut un élément structurel. Les arènes se remplirent au temps de Pedro Balañá avec la même intensité qu’elles se vidèrent à sa mort.
De toutes façons, aujourd’hui éclatent les complaintes et grincent les dents, montent les lamentations, les accusations diverses et jusqu’à l’insulte aux ennemis de la Fiesta, mais on attend toujours et on attendra en vain un sérieux examen de conscience du rôle joué par les taurins dans la débâcle catalane.
Depuis longtemps déjà la Catalogne a cessé d’intéresser les taurins, y compris le patron actuel de la Monumental – petit-fils du fameux Don Pedro – qui a déjà essayé de la faire fermer en 2007 et qui garde aujourd’hui un silence plus que suspect, peut-être à l’affût d’une juteuse indemnisation qui pourrait lui tomber du ciel.
Combien de ceux qui se lamentent aujourd’hui ont vraiment soutenu les aficionados catalans, qui se sont acharnés dans leur tentative solitaire, aussi osée que naïve de faire front aux politiques ?
Tous les taurins savent que la Catalogne n’est qu’un début. Avant que ne se produise le veto nationaliste, les aficionados avaient abandonné les gradins des arènes. L’image offerte dimanche dernier par la Monumental avec à peine plus d’un quart d’arène n’était que le reflet fidèle du faible écho des corridas dans la société catalane. Il y aura certainement de nouveaux sursauts mais le plus difficile et le plus dangereux continuera à être sans aucun doute l’abandon constant d’un spectacle qui a perdu son intérêt d’autrefois.
Ceci est le véritable problème, et pas une vaine complainte. Est-il possible que le taurinisme actuel arrête de se regarder le nombril et affronte le présent et le futur de la Fiesta avec toute la rigueur nécessaire ? La présence du toro bravo continuera-t-elle à tenir de l’utopie ? Quelqu’un pourra-t-il endiguer l’hémorragie dont souffre la Fiesta ?
Pendant ce temps, il ne nous reste plus qu’à pleurnicher comme un enfant ce que l'on n’a pas su défendre comme des hommes. Il ne reste plus qu’à répandre des larmes de crocodile, des larmes qui semblent feintes.
Antonio Lorca - El País, 29 juillet 2010.