13 septembre 2010

La nécro de l'apartado


Dimanche matin, fin des Corridas Generales bilbaínas. Je bats le pavé, tu bats le pavé, nous sommes quelques dizaines battant le pavé, le goudron, l'asphalte inégal ça et là, encore mouillé de flaques et, devant le pavé, le rideau de fer. Non, je ne réécris pas Mai-68, j'attends qu'ouvre la taquilla de l'apartado des Escolar Gil. Et ça fait un moment que ça dure. Je suis même arrivé avant Bartolotti, ça devrait être bon pour avoir une place, me félicitais-je in petto. La queue parle français, presque toute la queue. Les revendeurs ricanent encore des absents de la veille, les Dacquois daubent Castella pour son exécrable prestation, et les saxophonistes ne sont pas en avance. Les quelques mots d'espagnol que l'on entend tout de même sont le fait de Castillans perdus dans des conversations qu'on imagine décennales sur des démonstrations tauromachiques et la crémation des idoles. Le guichet finit par cracher ses sésames, la porte s'ouvre et la procession s'ébranle selon le rite dicté par Monsieur Marchi et sur lequel les autorités demeurent inflexibles. On passe, on s'entasse et on attend. Tout est en place et tout va bien. Ce soir sortent les Escolar, objets de voyage, au sens "objectif" du terme.
L'espoir s'apprécie, s'entoure d'une attention particulière dans son approche. L'espoir chauffe à feu doux et embaume la journée plus encore qu'une cuisine. Il mérite qu'on prenne son temps, des heures et parfois des journées pour le ciseler. Les Escolar de Céret nous ont "fait" une bonne partie de l'été : une lente digestion des combats proposés alors. Le genre de corrida justifiant toutes les autres : les mauvaises, les promises envolées, les fades, les oubliables et celles qu'on a parfaitement oubliées. Ces Albaserrada nous ont donc pas mal occupés : du temps de cerveau disponible et de la capacité d'enthousiasme. Le genre de course qui vous conduit à promettre que là où ils sortent, peu importe où, nous irons les voir dégommer les canassons et répéter leurs charges vibrantes et lourdes.

Le lieu où se tient l'apartado à Bilbao est carré comme une Plaza Mayor, avec des gradins à trois ou quatre niveaux, en bois. On s'y entasse une fois de plus et, surtout, on ne bouge plus. Sauf les lèvres, puisqu'on est maintenant en train de piétiner dans les environs depuis plus de deux heures pour ne pas voir huit toros qui passeront dans le corral en contrebas. Alors on parle encore, à tel point que je soupçonne même qu'on finisse par se répéter. L'une des faces du carré type Plaza Mayor de tableau anonyme du XVIIe siècle est réservée aux huiles. Officiels, ganadero y familia, journalistes, etc., qui finissent par arriver, imprégnés par le rite et garants du cérémonial. Un gars de Vitoria prend la parole pour prononcer un éloge du ganadero, de sa famille (femme, filles, petits-enfants, gendre) et parler de ses toros, de Céret quelques semaines auparavant, pour conclure en assurant qu'une chose était certaine : quoi qu'il arrive, l'émotion sera au rendez-vous avec ces toros-là. C'est beau comme une nécro, la famille s'empourpre, nous acquiesçons. Je ne peux alors m'empêcher de penser que s'il ne faut pas être superstitieux, il vaut tout de même éviter pareil panégyrique avant que ne sortent les toros, tant on a vu souvent le hasard foutre à plat les prévisions laudatives d'avant l'heure, tournures grandiloquentes comprises.

Le cérémonial se poursuit, on roule les papiers, on prend deux chapeaux, vous connaissez l'histoire... Puis paraissent enfin les toros, en transit tout d'abord, puis brièvement dans le corral, bien à la verticale au-dessous. On a beau faire attention, on ne voit pas grand-chose, on n'ose juger de quoi que ce soit depuis pareil perchoir. Restent six heures à tuer avant de tuer les six toros : fantasmes à plein tube !

Soyons clairs, nous serons enfin brefs : nous n'avons rien vu, ou presque. Le lot est sorti sans la sauvagerie escomptée, ni le poder et le peu de mobilité fut esquinté à la pique. Nous attendions Céret, nous avons assisté à une pâle resucée de la course de Vic. Le trois sortit plein d'entrain, donnant un coup de fouet à l'expectative où il nous trouva. Le lancier se chargea de réduire à néant ces esquisses de promesses : un puyazo façon Jean Yanne dans Le Boucher : pompé, vrié, assaisonné, arc-bouté, la vara dans le milieu du dos. Le cornu en sortit pantelant, hagard, fébrile façon chevreau après le passage d'un vol de légionnaires. Silence dans l'assistance. Morenito de Aranda vient le brinder : aplausos et mon moral de choir dans mes chaussettes malgré mes havaianas. La partie, la bataille, la guerre étaient donc perdues à tous points de vue. Même topo au quatrième. Rafaelillo tente de nous faire croire je ne sais quoi au cinq, Morenito nous rejoue l'asador au six ; il est temps de fuir sans demander son reste.
Rien que de la déception mâtinée d'indignation sur la route du retour (Mais que font les clubs taurins légendaires du coin ??? — Ils s'en foutent en fait... — Ah !). Les journaux du lendemain parleront d'une présentation réussie...

>>> Une galerie avec les 6 toros que vous n'avez pas vus non plus à l'apartado vous attend sur le site, rubrique RUEDOS.