11 septembre 2010

L'Art sans art...


Je suis très ennuyé. En ce jour de goyesca, 11 septembre 2010, j’avais prévu d’expérimenter un nouveau concept photographique : le noir et noir. Un hommage à Soulages en quelque sorte, mais en plus modeste et en moins cher. Nous y reviendrons, car de noir et noir aujourd’hui il ne fut pas question.
Aujourd’hui l’art était bien au-delà de tout, du bien et du mal, du noir et du noir.
Ena Swansea, retenez bien ce nom. Ce n’était pas la première fois que les arènes d’Arles se lançaient dans l’organisation d’une corrida goyesca en faisant appel à des artistes renommés, mais c’est la première fois que l’art s’offrait à nous à ce point puissant et partie prenante de l’œuvre qu’il est censé accompagner et qu’à la vérité il a aujourd’hui littéralement sublimée et transfigurée.
On peut avancer sans trop de risques de se tromper que, jusqu’à présent, les artistes invités avaient décoré les arènes. Avec Ena Swansea, pour la première fois, l’art est allé bien plus loin, bien plus haut et bien plus fort. Ena Swansea a changé notre vision même de la corrida, notre perception du toro, du toreo, et donc de l’art, et évidemment du bien et du mal. Pour parler vulgairement, Ena Swansea a fait très fort.
A première vue, l'art s'oppose au réel comme l'artifice à la nature. Production humaine destinée à exalter des puissances surnaturelles, à découvrir le beau idéal ou à émouvoir le goût, l'art nous éloignerait plutôt du réel, et donc du toreo, et même du toro si on prend la peine d’y réfléchir trois minutes dix.

Pourtant, avec Ena Swansea, ce n’est plus le cas.
Avec Ena Swansea notre conscience du toreo, et très accessoirement du toro, devient perceptive et naturelle : je n'ai plus besoin des comptes rendus de Terres Taurines pour bien percevoir la grandeur du Juli. Je deviens le Juli, consciemmment. Et cette conscience du réel est également pragmatique. Notre conscience de telle ou telle réalité contemporaine nous permet de bien nous orienter dans la perception du toreo, et donc du "julipied". Elle nous permet désormais de choisir et percevoir le torero de l’avenir qui, en fait, est également celui du présent. Et La Flûte enchantée de Mozart n'y changera rien.

Mais la vision d’Ena Swansea du rôle de l'art dans notre conscience du réel est pourtant trompeuse. En effet, c'est parce que j'ai vu la grandeur du Juli et aussi celle de Juan Bautista que je reconnais maintenant la grandeur du toreo. Notre regard sur l'existence réelle de la Fiesta peut donc être transformé après la vision d’une corrida à ce point transfigurée, comme ce fut le cas aujourd’hui. Car l'art d’Ena, en apportant un état de conscience différent et propre à nous tous, peut transformer celle qu'on a du toreo, du Juli, de Juan Bautista, et accessoirement de Daniel Ruiz.
Evidemment reste le cas désespéré de la minorité active. Pour ceux qui ont refusé ou continuent de refuser de s’éclairer, l'art dissipe tant qu'il peut le brouillard qui voile leurs sens. Ainsi, il n'y a pas encore transformation de la concsience du réel mais révélation. D'autre part, étant donné que le réel est une véritable usine chimique, qu'il se meut en permanence — l'art aussi change —, il se transforme. Enfin, la conscience du réel et l'art peuvent agir l'un sur l'autre puisqu'ils sont complémentaires. L'un ne peut être sans l'autre. 
Rien n'est donc perdu. Ceci dit, il ne s'agit que de mon point de vue...
La semaine prochaine nous vous parlerons de L’Art sans art d’Henri Cartier-Bresson. Le noir et noir attendra.

>>> Quelques clichés vous attendent sur le site, rubrique RUEDOS.