22 octobre 2010

Carlos Cazalis, photographe


Carlos Cazalis est mexicain, et photographe. Nous l’avions très rapidement évoqué il y a quelques semaines. Vous pourrez le découvrir ce week-end dans le supplément du Monde qui présentera son travail sur José Tomás.
Un sujet taurin, dans Le Monde Magazine, et pas pour parler de cornada tragique, ou d’interdiction — enfin on espère —, la chose est assez rare pour être signalée.
Carlos est aficionado, mais il n’est pas photographe taurin. Il est photographe tout court, photographe professionnel, récompensé par de multiples prix pour son travail, dont le World Press Photo Award en 2009.
Allez sur son site, pour fouiner, fouiller et vous y perdre. Vous découvrirez ses séries sur les mégapoles, ses portraits ukrainiens, Haïti... Trop de choses pour tout évoquer ici.
Visitez et vous verrez que son travail sur Tomás n’est qu’une infime partie de sa production photographique. Lorsque nous avons invité Carlos à venir s’exposer sur Campos y Ruedos, nous aurions évidemment pu lui demander de présenter ses clichés sur José Tomás.
Mais en fouinant nous avons découvert une autre série, moins mise en valeur, peut-être plus intime et sans doute plus émouvante, plus étonnante : les forcados d’Évora. Et c’est ce travail-là, absolument superbe, que nous avons eu envie de partager ici.
Après plusieurs années à photographier la tauromachie espagnole, Carlos s'est mis en recherche de quelque chose de plus authentique, de plus proche des formes anciennes des jeux taurins. La nécessité d'un retour aux sources par la recherche de traditions sans doute moins en prise avec la modernité, et donc moins édulcorées, où la peur est plus perceptible. Alors Carlos a pris la route, direction le sud du Portugal, Évora, à la découverte des forcados.

"Ils ont été avec moi extrêmement courtois, hospitaliers. J'ai commencé à photographier un entraînement, avec des vaches, une chose très agréable à voir.
Ma première impression a été de penser qu’ils étaient des brutes épaisses, ce qui les a ensuite beaucoup amusés lorsque je le leur ai avoué.
J'ai rapidement assisté à une cuite terrible qu'ils ont prise tous ensemble. Il y avait là quelques nouveaux qui ont dû improviser un petit théâtre, une sorte de rituel d'entrée dans le groupe.
Aux arènes, ce qui m'a fasciné ça a été de voir leur peur de l'inconnu.
Un matador se confronte lui aussi à de nombreux problèmes, mais, c'est son métier, et il en connaît bien les risques et sait comment les affronter.
Les forcados sont des amateurs. Ils ne reçoivent pas de paye, et ont beaucoup à perdre dans l’histoire. Ceci étant, la passion que tu peux voir dans leur regard est unique et fascinante.
Je suis parvenu à comprendre qu'ils puisent une force terrible dans cette peur collective qu’ils transforment en courage collectif. L'amitié qui les unit est la chose la plus forte que j'ai connue. Il s’agit d’une union des forces, de fraternité, de familles qui se connaissent. Depuis un village natal commun, tout se conjugue en une sorte d’épreuve et de lutte contre le toro. C’est sous-jacent, à tout moment, aux arènes et dans leurs vies de tous les jours.
C'est toujours une grande joie pour moi de faire désormais ce voyage, et me retrouver au milieu d’eux qui me traitent maintenant comme un des leurs.
En réalité, je dis toujours qu'ils sont comme ma famille du Portugal, et grâce à eux j'ai connu des villages, et les coutumes de leur pays que jamais je n'aurai pu vivre de façon aussi intime.
Ils sont dans une certaine mesure une force très importante de la culture portugaise car ce pays est encore terriblement enraciné à sa terre, et je le trouve merveilleusement authentique à l'heure où nous vivons dans un monde tellement matérialiste.
Pour eux, être forcado, c'est beaucoup plus qu'affronter un toro, c'est une façon de vivre, de conjuguer l'amitié, les unions, les familles, et les cuites qu'ils prennent ensemble à la fin de chaque repas, et qui ne font que renforcer leurs liens.
Et ils n'ont pas peur d'assumer leurs défaillances. Dans les repas qui suivent chaque corrida, il n'y a pas de meilleur forcado que celui qui reconnaît publiquement ses erreurs devant les autres, et promet de faire mieux à la prochaine course, pour le bénéfice de tout le groupe.
En Espagne, le matador est un héros solitaire, au Portugal les forcados sont des guerriers qui vivent leurs vies pour la gloire du moment, entourés de leurs meilleurs amis."

Justement Carlos, nous sommes là très loin de ton travail sur José Tomás, héros très solitaire comparé à ces forcados.
Tu le vois comment, lui, par rapport aux autres matadors ?

"Je le vois très différent. Mais ce qui me le fait paraître différent n'est pas nécessairement son toreo, mais peut-être cette disposition à une constante recherche d'une vérité et d'une pureté dans ce qu'il fait. Et je crois que, de ce point de vue, c'est la même chose qui existe chez les forcados, un authentique désir de tout donner pour le toro, ce qui est peut-être la seule façon d'aller au-delà de ce qu'il est, de lui-même.
José Tomás représente pour moi une grande vision du passé, celui d'une éducation perdue dans le monde matérialiste et de consommation dans lequel nous vivons.
Il est une sorte de héros solitaire que nous aimons, que nous envions et qui nous autorise aussi à détester tout ce qu'il représente, mais sans lequel, cependant, nous sentirions nos vies bien vides. Il est notre cœur et notre âme en conflit."

>>> José Tomás, les forcados d’Évora, tout ça sous l’œil, l’objectif et le talent de Carlos Cazalis : 
- pour les photographies de Tomás, rendez-vous sur le site de Carlos rubrique EPHEMERA ;
- pour les forcados d’Évora c’est sur le site de Campos y Ruedos en rubrique PHOTOGRAPHIES ;
- des galeries, ici ou ailleurs, Le Monde Magazine ce week-end, en attendant forcément des livres sur les forcados ou sur José Tomás, tout cela en préparation. Des projets que nous suivrons évidemment de très près.

Hasta muy pronto Carlos.