25 juillet 2011

Les mauvaises manières


"Il faut comprendre, les corridas c'est avant tout de l'humain", disait Klein à la tortue Ninja hier soir. Sac à dos et poncho vert : la tortue ninja, c'était moi et je grognais sur les chevaux.
"Avant tout de l'humain" et je ne crois pas que nous professions quoi que ce soit d'autre sur ce site. De l'humain à tous les étages, pour le bien et le mal : dans le moindre poil de toro bravo, l'empreinte du ganadero et le hasard qui fait le reste, dans la corne parfois retaillée et lustrée, dans le choix difficile des titulaires et des sobreros, et dans tout le reste : une touche d'humain(s) et le toro en piste, la bouteille à la mer.
Ça aurait pu être pire ; il aurait pu pleuvoir... mais en attendant j'ai le cul trempé. 5 novillos, 1 suicide, 6 toros + 1 sobrero. Des Dolores dans le type et le moral, mansada encastée, baladant un danger intermittent dans des conditions poisseuses. Nous y reviendrons en images bientôt.
Frascuelo fut parfait du paseo jusqu'à l'entrée du premier cheval puis ensuite emporté par la bruine. Restait l'impression d'avoir vu sa couleur foutre le camp dans l'humidité ambiante : on ne fréquente plus ces choses-là à cet âge... Quelques toros astillés, des intempéries, des naufrages et des arrimones, il y avait de quoi voir hier à Orthez. Une corrida, sérieuse et véritable en piste.
Sérieuse alors la course ? Oui, très digne et diverse et qui ne rassure les toreros qu'au moment où la pyramide de la pique pioche et fouille la chair autour du morrillo (grand succès pour l'épaule, le dos et la rectification qui fait toujours un trou de plus). Peones empressés au quite comme un enfant enjoint de ranger sa chambre, autorités résignées. Enfin, pas tout à fait car lorsque le premier Dolores s'en fut s'emplâtrer sur le matelas dès l'entrée du groupe équestre en piste, à la plus grande indifférence de toute la torería environnante, l'alguacil (un certain Yannick Boutet, cavalier d'opérette à Dax) s'empressa avec une bonhommie de fin de banquet de venir déambuler un peu plus près de la scène depuis son callejón. La tête en arrière, menton et nez légèrement dressés comme si le voisin avait étouffé un pet, l'autorité de l'arène évaluait l'horreur de la scène avec le détachement de qui en a vu bien d'autres. Le picador pompait, carioquait, s'acharnait sur l'épaule... seuls s'échauffaient quelques zigs sur les gradins. Confit l'alguacil ? On pouvait le penser, soupçonner la digestion d'un repas chaud du côté de la Moutète voire la recherche d'un air frais où souffler une haleine encombrée d'esters d'Armagnac. Non, trois fois non car, délaissant la scène taurine pour les gradins, notre alguacil, par un large geste (ne dépassant pas le faîte de la talanquère), adressa un superbe et prolongé doigt d'honneur aux vindicatifs spectateurs. L'autorité en état d'ébriété s'offrait une fierté nouvelle à défaut d'une conscience. Plus tôt dans la matinée, le même costume de velours avait, en substance, très courageusement répliqué à l'assesseur de la présidente que cela ne servait à rien d'intervenir puisque les toreros n'écoutent pas. "Pensez bien ! 30 ans qu'ils ne m'écoutent pas !" Le reste de la corrida permit à l'"emplumé" de goûter du fond de son burladero intérieur quelques reproches justifiés et inutiles. 

Mais les mauvaises manières ne sont pas l'apanage d'un alcoolique dacquois en quête de mondanités et d'abrazos taurins, malheureusement. La course se poursuivait et les toros continuaient à fracasser leurs colonnes vertébrales contre des divisions de panzers équestres, dont l'envergure contraignait les picadors à des prouesses de souplesse s'approchant du grand écart facial (mais oui !).
Le Pimpi disparu, un légitime et émouvant hommage lui fut rendu lors du paseo. Ces choses humaines qui font la corrida avaient également conduit l'organisation orthézienne à reconduire la cuadra de caballos du regretté picador, dans l'espoir compréhensible qu'une année de plus pour la jeune entreprise aurait permis de régler quelques soucis dont nous nous étions déjà fait l'écho l'an dernier, notamment quant au gabarit des chevaux employés. Peine perdue, "l'espoir a fui vaincu vers le ciel noir", les novillos s'embarquèrent tout au long de la matinée en tongs face à des Everest de chairs et de protections, de même que les toros d'Aguirre. Au gabarit disproportionné, les chevaux ajoutèrent cette année le défaut de ne pas être dressés pour certains. Peu maniables (au point d'être conduits, pour les 3 et 5, à être menés par la bride), les picadors connurent les pires difficultés à mener leurs montures et citer certains toros. N'y tenant plus, un énergumène mélomane, confondu par le chagrin de sa disparition et l'impossibilité de voir se tenir un tiers de piques de qualité s'en fut rendre un hommage humide à Amy Winehouse alors qu'on ramenait le troisième cheval au patio : "On m'a dit les chevaux du Pimpi et j'ai dit : No ! no ! no !" Au manque d'éducation des chevaux s'ajouta celui de plusieurs palefreniers, menaçant l'énergumène endeuillé depuis le callejón. Ils n'avaient probablement pas goûté la reprise de "Rehab", l'ironie de l'allusion ni la gravité de la situation en piste. Qu'ils soient ici pardonnés. L'énergumène, c'était moi.

À nos amis de l'organisation orthézienne, après trois férias dans l'ensemble réussies, sérieuses et originales, je me permets de rappeler en toute amitié que le diable se cache dans les détails et que les combats qu'on veut gagner se mènent sans négliger ces détails. 
Je me suis permis de glisser quelques liens pertinents et agréables dans le texte, que vous consulterez si vous en avez le temps. 
Enfin, l'illustration est un hommage à Amy W. Puissions-nous tous nous y réconcilier.