05 février 2012

Requiem pour les dingues, les rêveurs et autres romantiques


Revoir ton drôle qui revient au pays, c'est un peu ta renaissance, ton nouveau départ pour ta nouvelle vie… C'est sûr, tu ne vois ni ne vis plus les choses de la même manière après ça. Dans ta vie de con, les yeux fermés, tu n'imaginais même pas combien tout ça comptait avant, et puis un jour il est parti sans te promettre de retour, un peu comme tout le monde, et, curieusement, c'est dans cette absence que t'as souhaité sa présence… comme jamais. Alors tu as tout ré-appris, et le simple fait de monter une ligne pour débusquer deux calicobas et un peuch-cat en sa chère compagnie ressemble alors à un moment unique et délicieux dont tu savoures chaque mouvement d'aiguille, quand cela t'aurait copieusement gonflé avant que tu ne comprennes — quand tu avais les yeux fermés…

Même la plus « bush-addicted » des mamans texanes, qui gonflait fièrement les nichons au moment d'envoyer le petit pisser sa haine d'andouille inculte sur les corps ensanglantés des barbus anti-McDo de la face obscure de cette planète, ne saurait être assez conne pour affirmer le contraire aujourd'hui…

Alors quand j'ai vu que l'on claironnait à nouveau le retour des dragons de Boecillo, c'était comme si « Mathilde me revenait ». Je relisais l'histoire couillue de ces frangins des alentours de Valladolid qui partageaient leur temps entre le fracas bétonné d'une vie de bureaux et la poussière d'un campo désuet qui semble avoir toujours été là, avec des échos du nord de l'Espagne qui planaient à l'ombre des pins du Quiñón, sans savoir vraiment depuis quand… Je me souviens que l'énigme nous passionnait, jusqu'à ce que quelques âmes perchées ne libèrent le morceau sur la piste ronde d'une bourgade du nord des Landes, pour que se révèlent enfin les secrets de famille plusieurs fois centenaires des Gamazo brothers du Raso de Portillo. Deux ou trois tours de piste glorieux et pétaradants avant de saluer, un peu tristement, et les années passèrent, sans savoir vraiment si on les reverrait un jour.. tant de temps à espérer pour enfin voir les rêves s'exhaucer sous la forme d'une douzaine de féroces combattants que l'on n'espérait plus, puis les laisser filer, aussi connement… Mais que diable s'est-il passé depuis ce jour où cette maudite quille de jaune alla s'éclater le goulot en piste pour nous annoncer que l'on tirait le rideau sur une histoire qui venait pourtant de naître ?

Tout ça, pour ça…

Alors je vous le demande : « Où donc les terribles guerriers du Raso de Portillo mirent-ils la pagaille depuis ce funeste jour d'août qui les condamna au purgatoire parentissois, au point qu'aucune autre de nos précieuses empresas ne se risquât à en récolter quelques échantillons quand Parentis les mettaient à disposition pour qui voulait enfin s'offrir le pied d'un après-midi authentique et osé ? L'accident malheureux aurait-il été plus retentissant que deux journées ensoleillées pour le ganado des frères Gamazo ?

Allez savoir… N'empêche que je n'ai pas plus de belles histoires à vous raconter sur la suite des aventures des Veragua de l'ami Gallego, qui avaient pourtant enthousiasmé l'Afición sang et or avant que, là aussi, le couperet ne tombe, n'effaçant toutefois aucune belle perspective pour d'autres éventuels téméraires amateurs de voyages au pays des merveilles. À croire que l'Afición des empresas ne se résume qu'à se dédouaner et se mettre aux abris avant de prendre des responsabilités, le menton haut et fier… Devra-t-on alors attendre que la seule et unique Céret ne décide de rouvrir la cage aux oiseaux pour qu'enfin les pupilles de Javier Gallego ne nous dispersent à nouveau leur savoir-faire en matière de coups de testons sauce moyenâgeuse ?

L'intransigeance est bonne thérapie, tant qu'elle ne devient pas glacée et aveugle. Le torchon brûle, et les heures tournent. Peut-être est-il temps de pardonner pour les uns, d'oser pour les autres, ouvrir les yeux pour TOUS. Certains de ces ganaderos romantiques vous diront que, pour eux, l'avenir du rêve de leur vie ne dépassera plus les quelques barbelés au bout du chemin de terre. Ceux-là ont peut-être déjà compris que la dernière part du gâteau est partie dans la gamelle du chien… Pour ceux-là, élever du toro n'est pas une fantaisie que l'on s'offre pour combler un après-midi ensoleillé, c'est l' œuvre d'une vie ; et quand, en plus, il s'agit de Santa Coloma (ou pire encore), alors on parlera plutôt du sacrifice d'une existence… ou d'un suicide, si vous préférez.

Les Ángel Nieves, Adolfo Rodríguez Montesinos et Aurelio Hernando n'auraient-ils donc plus rien à attendre de l'Afición ? En vérité, je crains la réponse… Les petites arènes françaises semblent lointaines, aujourd'hui, frileuses comme jamais, et les mégalopoles taurines d'Espagne, pathétiquement inabordables, ont une vision de l'Afición bien à elles. Bref, une vie jetée en l'air…

Alors, dans un dernier élan d'espoir, je lève mon verre aux fous, aux rêveurs, aux farfelus, aux idéalistes, aux tihuts, aux convaincus, aux illuminés, aux aficionados effrontés qui ont un jour rêvé de faire lidier des toros qui n'existaient pour personne avant que la porte d'un chiquero catalan ne se déverrouille sur le pari le plus aficionado de l'histoire de notre passion, en dépit de toutes les règles de bien-pensance économique ou éthique. Ainsi, on se souviendra peu de ce que donnèrent les toros de Vaz Monteiro, mais leur nom raisonnera toujours comme le cri libéré d'une frange de l'Afición la plus audacieuse, la plus courageuse, la plus enthousiaste, la plus tarée, la plus passionnée, la plus terrienne, la plus aficionada ; celle qui révéla le sens de la passion du taureau de combat à toute une génération ; celle qui nous disait que tout était finalement possible, jusqu'à nous convaincre que tout ça est bien loin de n'être qu'une bête affaire d'oreilles et de planta torera ; celle sans qui Parentis ou Orthez n'y auraient peut-être jamais cru ; celle sans qui nous ne serions peut-être pas là aujourd'hui, mais définitivement celle qui ouvrit la voie.

Merci donc à tous ces Colomb fous furieux et anonymes qui savent trop bien la sueur sur la peau tannée des hommes de ces terres, l'histoire de ces mains lourdes et calleuses, la gauche rudesse et l'humilité de ceux qui ont choisi de donner un sens laborieux et poussiéreux à leur vie, loin du grand monde et des salons feutrés, s'obstinant à croire en cette idée saugrenue que le toro bravo est l'alpha et l'omega de toute cette histoire, et définitivement rien d'autre. L'Afición c'est vous, Céretans, Parentissois et Orthéziens ; c'est vous, chers Thomas et autres glandus qui l'avez cru et suivi ; c'est tous ces tarés qui partagent des hectares de vide d'Estrémadure avec leurs bêtes à cornes en guise de lever et de coucher de soleil ; et c'est aussi vous les prochains doux dingues qui ferez le pari fou de donner sa chance à un de ceux-là, le temps d'une ou deux heures, entre le soleil et le sable d'un ruedo, aussi petit soit-il — la grandeur d'un être ne se reniflant pas à la taille de son berceau. Enhorabuena à ceux qui prendront le chemin…

Image Novillo de Javier Gallego García, finca « Prado Bonal » à Soto del Real (Madrid).