18 juillet 2012

Céret centre du monde


J’étais gamin et la télévision encore en noir et blanc. Je me souviens de Salvador Dalí, avec face à lui trois ou quatre encostumés, un peu coincés aux entournures, en train de discuter métaphysique.
La métaphysique me passait très au-dessus, mais le visage de Dalí m’impressionnait.
Je me souviens de ce passage où le Maître a haussé les sourcils et s’est soudain exclamé qu’il était important d’évoquer, je cite, le trou du cul comme élément primordial d’une discussion sur la métaphysique. 
Ce à quoi l’un des encostumés lui a répondu, sans doute sans trop y penser, qu’il serait peut-être judicieux d’évoquer également le trou du nez.
Colère du Maître : "Mais qu’est-ce que le trou du nez vient donc faire dans une discussion sur la métaphysique ?"
Silence gêné de l’interlocuteur. 
Pour le gamin que j’étais, tout ceci devenait clairement surréaliste. Il m’arrive même de me demander si je n’ai pas rêvé…
C’est ce même Salvador Dalí qui a décrété que le centre du monde se trouve à la gare de Perpignan.
Ben, il s’est planté le Maître.
Pour le trou du cul et la métaphysique, je ne sais pas, mais pour le centre du monde Dali s’est planté d’une bonne trentaine de kilomètres. Le centre du monde, ce n’est pas à la gare de Perpignan qu’il se trouve, mais à Céret, dans la piste des arènes.
 

Partout on nous explique que le mouvement est irréversible. Partout on nous explique que le premier tiers c’est terminé, que le toro est désormais de troisième tiers, bref, que les piques on s’en fout. Un toro qui prend trois piques ça n’existe plus. Que c’est surtout le public qui s’en fout. C’est irréversible on vous dit. Foutaise ! Ça pourrait se tenir, notez bien. Il suffit d’assister à quelques courses, à peu près n’importe où pour s'en convaincre et se désoler.
Sauf au centre du monde ! Et là, mystère, l’ADAC y est parvenu. L’ADAC est parvenu au fil des ans (ce n’est pas venu d’un coup, nous en avons été les témoins fidèles) à ce que les toreros arrivent ici avec l'idée d'offrir un tercio de piques digne ce nom et de mettre en pratique une lidia comme on n’en voit nulle par ailleurs.

Comment y sont-ils parvenus ? Mystère.
Seront-ils d’accord pour partager la formule forcément magique ? Allez savoir, mais ils y sont parvenus.
Tout est évidemment perfectible. De nombreux toreros n’ont pas encore compris que, pour la première pique, le toro devrait être placé bien plus près du picador qu’ils ont désormais coutume de le faire ici, de façon quasi systématique. Ils ne l’ont pas compris ou ne le savent pas. Ce n’est qu’à la seconde, puis à la troisième qu’on augmente la distance. Il faudra le leur dire.
Tout est perfectible. Mais ici l’espoir nous porte. Ici on se dit qu’il est encore possible de jouir pleinement de cette chose totalement anachronique qu’est le tiers des piques.

 
Photographie José Angulo