01 novembre 2012

Le 16 septembre vu par Deck


Le fils de Joaquín Vidal m'a confié un jour à quel point son père lui avait appris à se méfier des choses qui font trop l’unanimité.
À ce titre, le texte d’Olivier Deck consacré à la corrida nîmoise du 16 septembre dans sa lettre à parution aléatoire (c’est vraiment bien, ça, l’aléatoire) est une bouffée d’oxygène, car c’est, à ma connaissance, le seul écrit publié à ce jour qui met vraiment les pieds dans le plat.
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C’est évidemment avec l’accord de l’auteur que nous publions ici ces « Signes alarmants ». Pour le reste, et très au-delà de la perfection atteinte ce jour-là par Tomás, on pourra me raconter ce qu'on voudra, des toros il n'y en avait pas.


Signes alarmants

La corrida du 16 septembre n’a pas fini de faire couler de l’encre et de la salive. C’était au tour de Signes du toro de souffler sur l’incendie. 
Un documentaire bien ficelé, très correct, grand et bon public, qui revient sur la grande Vision collective nîmoise. On y retrouve le florilège des belles passes de l’artiste, les petits toros oblatifs, on n’y voit pas une pique — juste une brochette de picadors hilares appuyés à la barrière, et un commentaire laconique sur le manque de bravoure du toro couard gracié, assorti de l’assurance qu’on ne peut en vouloir au torero (pourtant pourvoyeur et utilisateur de l’animal en question…) — et surtout, les signes conséquents de cet événement certifié historique ne sont à l’avantage des thuriféraires. Comme si cette course ne souffrait aucune controverse.

Comme si elle ne soulevait pas des questions, des inquiétudes pour l’avenir de la corrida, des commentaires sur le gros du public qui suit et adule José Tomás. Comme si elle n’était pas le sacre de la « toréabilité », qui est pourtant — tant de plumes l’écrivent — la pire des menaces pesant sur l’avenir de la Fiesta. Ni José Tomás ni le G10 n’ont empêché la fonte du public des arènes. Et seul José Tomás peut faire du José Tomás. Impasse. Personnellement, j’avais fait le choix de ne pas assister à cette course, comme Ulysse se fit attacher au mât de son navire pour résister au chant des sirènes. Choix sans regret. Pas d’héroïsme non plus. 

José Tomás est sorti sept fois par la grande porte de Madrid. Ces choses-là ne se volent pas, Las Ventas n’est pas L’Alpe d’Huez. 
On peut voler, semble-t-il, sept Tours de France, pas sept « grande porte » madrilènes. José Tomás a su gagner le respect des aficionados, aujourd’hui il est ailleurs. Où ? Je ne puis le dire, je ne l’y suis pas. 

Il a remplacé la véritable tension de l’Art de l’arène par une tension d’apparât. La seule tension qui vaille — à mon sens — se fonde sur la dangerosité (peligrosidad), l’impression du danger. Elle vient du toro. La dangerosité, c’est tout l’inverse de la servilité. Ce n’est pas son corps que José Tomás laisse à l’hôtel, c’est hélas une certaine idée du toro brave. Son toreo d’épure, de cadences sublimes, a besoin qu’on le serve. L’opposition en est réduite à sa portion congrue, nous sommes aux portes du cirque, du théâtre. On parle d’un récital. C’est si loin de la plaza de toros. Là où les hommes combattent le toro.

Olivier Deck