03 février 2013

Réminiscence


Le nom est imprononçable : Moralzarzal. Les voisins de Carmen Segovia hurlent de dépit sur une terre, infertile et malade, sans herbe, de laquelle ne semble pouvoir s’extraire que d’atroces fundas. La route n’est pas loin ; elle conduit à Madrid. 

On se dit qu’il y a mieux pour élever des taureaux de combat. On a déjà vu beaucoup mieux. Pour autant, la finca a son charme. Les hermanos González Rodríguez ont réussi à conserver le charme de l’ancien et, en cette fin de journée ensoleillée, les pierres lourdes de la placita de tienta s’adoucissent sous les attouchements des derniers halos d’une lumière maintenant ambrée. Le vent se glisse à pas feutrés entre les feuilles qui frissonnent d’aise et savourent le coudoiement des chevaux et le calme apparent — il ne peut être qu’apparent — des novillos de la ganadería. 

Les hermanos González Rodríguez sont d’étranges personnes, physiquement parlant. Hommes forts, imposants, marqués par l’âge qui avance et qui devrait plutôt annoncer le jubilé que l’entêtement à maintenir en vie l’un de ces innombrables élevages de bravos qui peuplent la région. 

L’un des deux a les traits d’une femme. Le visage est parfaitement glabre et barré de lunettes de soleil. Le buste est un mystère, comme s’il n’avait pu choisir entre les traits fermes et droits d’un homme et ceux arrondies, baroques et vivants d’une femme.

En replongeant dans les photos de cette journée — photos que j’avais oubliées —, ce sont ces souvenirs qui reviennent en premier. La douceur exquise d’une fin de soirée printanière, la saveur intérieure de regarder la nuit venir sur la pointe des pieds et cet homme étrange, comme asexué, comme inachevé, qui nous racontait son histoire et celle de son élevage qu’il ne voulait pas voir disparaître. 

La mémoire opère un tri curieux. Quelques jours après cette visite, c'est la finca et son histoire qui l’occupait toute. C’était là que ‘Diano’ avait débarqué en terres madrilènes et que Vicente Martínez embarquait certaines corridas. Je n’avais retenu que cela.

À mesure que le temps passe, ne subsistent que la réminiscence d’un état de la nature ce soir-là, une sensation purement corporelle ou sensorielle, le vent que je pourrais sentir sur ma joue, son souffle léger, constant et cotonneux, et ce monsieur étrange et sympathique qui eût pu être une femme.


>>> Retrouvez une galerie des bravos (origine Pablo Mayoral, soit Santa Coloma/Veragua) de Hermanos González Rodríguez sur le site, sous la rubrique «Campos».