30 mai 2013

Puntilla vide son sac (de Tarbes)


Gascogne !

Reine couronnée des Pyrénées, orgueilleux rempart adamantin fort de ses imprenables citadelles cathares ! Souveraine alanguie parée de ses verts atours, elle se prélasse dans les rondeurs du Gers. Coquette embaumée des entêtants parfums de ses forêts de pins, se heurtant à l’embrun de la vague marine quand elle devient les Landes, la Gascogne est une belle femme brune dont l’œil par sa franchise étonne. Et je l’aime !

Je vous entretiendrai de la gastronomie de ce pays béni de Bacchus, car naquirent en ces terres généreuses tant de mets simples et roboratifs, dont l’efficacité nutritive n’a d’égal que la délicatesse en bouche et le raffinement des arômes. La glèbe gasconne dispense généreusement à ses enfants les bons produits de ses seins ronds et fermes ! Ces fruits si judicieusement accommodés, dans ce merveilleux plat nommé garbure dans l’idiome local, ont permis à cette race fière de mettre au monde des enfants dont le corps, à défaut d’être mince, ne laisse pas d’être vigoureux !

Cadets de Gascogne, hommes de cœur (de canard), gloire aux cochons au fin fond des bauges ! Aux Normands la crème, aux Gascons le canard dont la graisse est à elle seule un onguent, une panacée ! Et que dire du ragoût de carcasses ou des cœurs de canards frits dans la graisse de leurs ex-propriétaires et mangés de bon matin accompagnés d’un viril madiran ! Miam, slurp et diététique !

Il y a des vaches aussi, en Gascogne. Des vaches toutes noires venant d’Espagne, car les Gascons n’élèvent traditionnellement que des oies, des cochons et les désormais célèbres canards — dont on se repaît du cœur avec un tord-boyau appelé madiran les matins de becerradas. Elles sont sympas leurs vaches ! Ils leurs collent du chatterton sur les cornes, les attachent avec une corde et font sauter par-dessus leur échine, lors de cérémonies appelées « course landaise », des prix Nobel gavés de cœurs de canards au madiran. C’est très pittoresque.

La Gascogne aime aussi les toros ! Des toros tout noirs qui viennent eux aussi d’Espagne, bien que quelques ploucs locaux — moustachus ou pas — tentent aujourd’hui de les élever eux-mêmes. Des toros que l’on combat selon des règles naturellement ibériques dans des lieux appelés « arène » et prévus à cet effet. Ces fêtes sont célébrées lors de manifestations culturelles : les férias. Elle ont généralement lieu au cours de la belle saison, dans les mégapoles des Landes, du Gers et du Pays basque : Dax, Vic-Fezensac, Bayonne et, perle des Landes, Mont-de-Marsan.

À ces occasions, le peuple gascon, délicat et mesuré à son habitude, déguste le petit doigt en l’air des litres et des litres de pastis et de madiran — ce vin qui fait peur aux comptoirs les plus aguerris. Nadine de Rotschild n’a qu’à bien se tenir ! Pour le non-initié, il semblerait que le but du jeu consistât à vomir partout des cœurs de canards et de la garbure. C’est aussi pour l’ethnosociologue amateur l’occasion de croiser des rugbymen déguisés en vahinés ou en danseuses étoiles, ce qui n’a de cesse de ravir l’âme de l’esthète sommeillant en chacun de nous…

Les mégapoles de moindre importance apprécient elles aussi ces manifestations de la belle culture gasconne, mais se contentent d’organiser des becerradas ou des novilladas piquées lors de leurs fêtes votives. Captieux, Aire-sur-l’Adour, Maubourguet… Nul n’échappe aux cœurs de canards, au Grand Repas de l’Afición et à la peña les Armagnacs. Cette belle coutume a en Gascogne ses hauts-lieux et ses chapelles, car le peuple gascon n’est pas monolithique en afición a los toros.

Il y a, en revanche, un sujet faisant consensus chez les indigènes de la région : le « Parisieng » ou « Lutécieng » (prononcer avec mépris). Je ne me suis jamais très bien expliqué l’acrimonie particulière que certains autochtones de cette si riante région française nourrissent à notre encontre, nous, résidents de la Capitale du Monde, la Belle, la Somptueuse Paris ! Je n’en sais pas bien long sur les origines de cette haine recuite, et l’ignorance dans laquelle je demeure contrarie ma curiosité scientifique naturelle et inextinguible. J’ai bien tenté, à diverses occasions, d’élucider cette énigme anthropologique, usant d’une diplomatie que m’aurait envié un Claude Lévi-Strauss apprivoisant le Jivaro l’ayant traité de « p’tite tête ». En vain !!!

Mais les faits sont les faits, et les faits sont têtus : on ne nous aime guère en ces rugueuses contrées et l’on nous déteste à coup sûr lorsque l’on a le mauvais goût de se piquer d’afición a los toros. En effet, seul le Gascon est à même de comprendre et d’apprécier le combat des taureaux à sa juste valeur. Plus Espagnol que l’Espagnol, il y a le Gascon ! Même si la corrida est un produit d’importation somme toute récent entre Adour et Midouze, lui seul, valeureux Gascon, est habilité à se rendre aux arènes en toute légitimité. Même son congénère, le Sudestien, n’a pas à ses yeux les capacités requises pour appréhender comme il se doit le noble art de trucider un taureau entre 18 h et 20 h.

Aux yeux du Gascon, le Chevalois n’est bon qu’à regarder des mecs en blanc se faire courser par des taureaux privés de leurs attributs, alors un Parisieng !… pensez-vous ! Le Parisieng, ou Lutécieng selon les chapelles, a pour le Gascon de base été initié à la tauromachie par Canal+ dans les années 90, s’est aguerri dans les arènes de Nîmes (2 h 30 de Paname en TGV) et dénature par sa présence incongrue l’homogénéité d’un public local savant autant que sobre.

Afin de vous en convaincre, je me permets de vous citer quelques paroles viriles d’aficionados gascons glanées récemment sur le Net, en général, et sur ce merveilleux forum qu’est la Bronca, en particulier :
« Quant aux Vicois, l’ambiance est sympa à l’extérieur des arènes, mais à l’intérieur il est difficile d’exprimer son mécontentement quand une corrida concours se transforme en corrida de banderilleros… Je ne parlerai pas de "canalplusisation" [sic] du public, mais plutôt d’une "parisianosudestisation" [re-sic]. » — Thierry R.
« Les Lutéciens connaissent la taureau machie ??? » — Laurent L.
• « Mais Dieu que la corrida devient tristounette avec cet afflux d’aficionados culture Canal+, disions-nous il y a quelques années. » ; « Bravo les Parisiengs pour cette observation nationale de la culture taurine… virtuelle… en attendant Céééreeet… » — Roger M.
Etc., etc. Je n’invente rien !

Bien entendu, lorsque nous avons le bon goût de nous déguiser en portefeuille, les mains se tendent, les barrières culturelles jadis insurmontables s’érodent et les dichotomies linguistiques laissent place à une tolérance bon enfant. Il serait toutefois malhonnête de ne point constater qu’après vingt ou trente Tariquet payés à un tarif que l’on n’oserait exiger à un émir arabe, le robuste indigène amadoué vous aperçoit enfin comme quelqu’un ayant peut-être une âme ! La controverse de Valladolid est encore dans toutes les têtes au pays des maïs toujours verts !

Mais les effusions éthyliques évaporées, le béret se fait plus près de la tête et le naturel du Tarbais ou du Montois bon teint revient au galop. Il gueule alors comme un putois que le Parisieng pollue SES tendidos — qui, à coup sûr, resteraient vides si nous ne venions pas, nous, heureux résidents de LA capitale, les garnir de notre amicale présence. Toutes ces considérations et cet espèce de racisme interrégional commençant à me courir sur le haricot (et pas que le tarbais !), nous avons, avec mes amis privilégiés de Paname, pris une décision qui s’avérera lourde de conséquences et dont l’histoire se souviendra douloureusement.

Luz (gloire à elle :), fondatrice des forums de la Bronca, premier forum taurin au monde, Dionxu, quelques autres et moi-même, nous nous sommes donc concertés et avons décidé à l’unanimité qu’une bonne croisade remettrait quelques vilaines idées en place à coups de guisarme dans le fondement ! Ou, à défaut de croisade, l’ost du pays d’oïl menée par un Simon de Montfort moderne serait à même de calmer les ardeurs xénophobes de certains bas du bulbe…

Sus ! Taïaut ! Tuez-les tous, Dieu n'est pas ! (Sac de Tarbes, An de Grâce 2013.)
Paroles attribuées à Puntilla, soudard tristement célèbre pour avoir mis à feu et à sang, avec la complicité efficace de Luz et de Bloody Haribo, la riante région de Chevalie — gloire à ses chères tradiciouns !

Qu’enfin les échasses trouvent un semblant d’utilité et servent à empaler les pompeux cornichons de la fiesta brava ! Le sac de Tarbes ! Ça aurait de la gueule, nom d’une pipa !