29 juin 2013

National Geographic dans l’Horta Nord


Vous avez peut-être déjà vu, à la télé, ces magnifiques reportages du National Geographic, où l’on vous montre des ours polaires à la dérive sur un iceberg, la société patriarcale des babouins en Afrique, ou tout autre phénomène naturel qui peut se filmer au ralenti et en contre-plongée. L’autre jour, un samedi matin pluvieux (pluvieux chez vous, pas chez moi, évidemment), j’ai regardé un de ces reportages où des énergumènes avaient balancé une vieille voiture dans la mer. C’est crade, me direz-vous. Oui, mais non ! De cette carcasse automobile, qui n’a rien à faire dans la mer, est né un écosystème. Pas la peine de courir chercher le dictionnaire, j’en ai un sous la main.

Un écosystème est une « unité fondamentale d’étude de l’écologie, formée par l’association d’une communauté d’espèces vivantes (biocénose) et d’un environnement physique (biotope) en constante interaction. » (Le Petit Larousse, édition 2003.)

Pour expliquer ça simplement, notre carcasse de voiture fraîchement immergée se retrouve colonisée par des algues, qui y trouvent un point d’accroche. Ces algues sont l’habitat de crustacés ou mollusques, qui font partie du menu de petits poissons qui, à leur tour, se font manger par de plus gros poissons, qui adorent faire la sieste sur les sièges en skaï de notre 205 GT sport aquatique. En l’espace d’un an, notre carcasse de voiture (biotope) se fond dans le paysage marin et abrite une quantité de petits ou grands animaux (biocénose) convertis au tuning.

Ce même samedi pluvieux (chez vous, mais pas chez moi), je me rends à mes habituels bous al carrer, sensibilisé sur les incroyables possibilités de recyclage de nos produits de consommation désuets. Arrivé sur les lieux, je fus saisi d’une révélation : chaque samedi, dans l’Horta Nord, se créent de véritables écosystèmes éphémères. Je m’empresse d’appeler le National Geographic, et je vous en fais la démonstration. 

Pour constituer notre biotope, il nous faut un camion de sable soigneusement éparpillé à l’extrémité d’une rue, et une barrière. Postez-vous dans un coin et observez. En milieu d’après-midi, apparaît la première espèce colonisatrice de notre biotope. On l’appelle : le petit vieux. Doucement mais sûrement, le petit vieux est le premier à s’approcher du biotope pour se l’approprier. Le petit vieux, dans sa forme masculine, a une forte querencia aux planches et tentera de se hisser sur le haut de la barrière pour s’asseoir sur la dernière traverse. Quant à sa déclinaison féminine, celle-ci occupe généralement les parties inférieures et extérieures de la barrière, plus sûres et garantissant une certaine protection solaire. La chaise de camping est un outil regrettable parfois utilisé dans le processus de colonisation.


Plus tard, arrive une nouvelle espèce migratrice qui n’hésite pas à parcourir des kilomètres dans le but de peupler la barrière et satisfaire son afición. Cette espèce, généralement bien renseignée par les revues taurines, s’accommode plutôt bien de la présence des petits vieux, avec qui elle maintient de bonnes relations. Enfin, une espèce dite autochtone, plus ou moins concernée, surfe sur l’événement et navigue autour de la barrière accompagnée de sa progéniture. Cette progéniture est généralement confiée aux petits vieux des strates inférieures de la barrière qui possèdent une place de choix pour profiter du spectacle. À ce stade, notre milieu naturel est stratégiquement occupé à tous les étages. Toutes les espèces qui tenteront ensuite de se greffer à ce « biotope » seront qualifiées de parasitaires.

Ces espèces retardataires sont mal vues des précédentes et sont souvent repoussées dans leur tentative d’envahir la barrière par des « dis donc, on était là avant, hein ! », ou bien des « aïe ! mais c’est ma main que tu écrases, là », ou encore des « c’est la place de ma sœur, elle est partie un instant, mais elle va revenir de suite ».

Les peñistas, espèce bruyante, parfois alcoolisée, et portant des pantalons blancs et des t-shirts personnalisés souvent pathétiques, mettent fin à la lutte des espèces lorsque, juchés sur leur cajón, ils libèrent le quadrupède cornu que tout se petit monde est venu observer. À ce moment précis, l’écosystème de la barrière a intérêt à s’autoréguler comme il faut s’il ne veut pas afficher une perte de population.

À la fin du toro, notre population abandonne rapidement le biotope de la barrière, un peu comme si les poissons du National Geographic venait de se rendre compte qu’une 205 au fond de l’eau, c’est nul. Pourtant, tous les samedis de l’été, il suffit de jeter du sable dans une rue et d’y poser une barrière pour que le phénomène se reproduise. Et moi, j’ai envie que ce phénomène dure longtemps…