02 juillet 2013

Les Rencontres d’Arles 2013


Ça commence comme ça, par une citation de Victor Hugo : « L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement. L’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir. »

Lue comme ça, la chose peut paraître pessimiste, mais, vue au travers de l’objectif et des tirages argentiques de Klavdij Sluban, elle devient toute lumineuse. Je n’ai pas encore parcouru les cinquante expositions des Rencontres 2013. Je me suis pour l’heure seulement attardé dans les jardins de l’hôtel d’Arlatan, pour y découvrir la maison de Victor Hugo, pas celle de la place des Vosges, mais celle de Guernesey. On n’est pas déçu. 

Le travail de Sluban est, comme on l’espérait, lourd, délicieusement et lumineusement noir, envoûtant, presque entêtant. Il y a déjà cette expo, immanquable, gratuite, ce qui est rare ici. 

Et puis il y a aussi une autre exposition, très attendue, la rétrospective de l’œuvre de Sergio Larrain, à l’église Sainte-Anne, sur laquelle nous allons nous précipiter sans attendre. Larrain, photographe culte, photographe des photographes, photographe rare et dont les éditions Xavier Barral viennent de publier la monographie de ses dix ans de travail. On ne fera pas non plus l'impasse sur le travail de Daido Moriyama, plus contemporain mais d’une puissance rare.

Arles, pour encore quelques jours, c’est la quinzaine d’ouverture et des off, qui disparaîtront trop vite, et puis ce sera plus calme. Il ne me reste plus que quarante-neuf expositions à découvrir, sans oublier le off.

La quinzaine d’ouverture n’est pas forcément le moment le plus apaisé pour aller se rincer l’œil. En 2010, pour le magazine Prosper, l’Arlésienne Sophie Aubert s’en était agacée dans une chronique grinçante… Cette année-là, la mascotte des Rencontres était un rhinocéros. En 2013, c’est un oiseau, une sorte de flamant bleu, ou de pélican, je ne sais pas. 

Attention, lâcher de rhino !…


* * * * *

« “Ah, bientôt les RIP !” (Rencontres internationales de la photographie) me suis-je exclamée l’autre jour en voyant les nouveaux programmes fleurir dans les boutiques. Soixante expos à découvrir, de nouvelles images, de nouveaux regards, même ce bon vieux Mick (Jagger) sera de la partie cette année. 

Donc, durant un bref instant, je me suis réjouie que ma ville délaisse son costume traditionnel pour revêtir son habit culturel. Mais c’était sans compter sur cette angoisse insidieuse qui naissait en moi : “Le safari-photo”. Je sens l’incompréhension poindre à ce stade de votre lecture ; un instant, je développe. 

Ce que je nomme “safari-photo” se déroule durant la première quinzaine d’ouverture des RIP. La ville se remplie d’une faune étrange, badgée à l’effigie de l’affiche annuelle (cette cuvée est un rhinocéros rose aux cornes vertes), appareil photo en bandoulière, magazine artistique sous le bras et téléphone dernier cri vissé à l’oreille. Ce sont les “pro”. 

Les pros se divisent en plusieurs castes.

“L’argentique baroudeur badgé”, repérable de loin à sa veste saharienne, dont les multitudes petites poches contiennent des “cartouches à images”. Armé de la sorte, l’argentique baroudeur badgé erre et traque sa proie : l’autochtone ! En bas des maisons, à l’angle du minimarché de quartier, à la sortie de votre voiture, l’argentique est là, prêt à tirer, pointant son arme en mode rafale sur vous, ou votre chien, même votre poisson rouge…

“Le numérique badgé” est plus vicieux, sournois, moins détectable vestimentairement parlant. Il se fond dans la masse, s’assoie aux terrasses des cafés (c’est justement sa posture statique, sa main greffée à un petit appareil photo, le plus souvent camouflée sous la table, qui le rend repérable) et attend sa proie. Il guette, épie, scrute et tire… Coriace à éviter, celui-là !

Il y a aussi, et j’avoue que ce sont mes préférés, les addicts du “shooting de macadam”. Pour les trouver, rien de plus simple. Ils sont souvent dans une posture particulière, à quatre pattes, tournant autour de 4 cm2 de bitume surchauffé en plein milieu d’une route ou d’une rue. Le shooteur de macadam vous fera un signe autoritaire de la main afin que vous arrêtiez votre véhicule le temps qu’il immortalise ce bout d’asphalte… 

Comme cette attitude est assez récurrente, je me questionne : “Et si le macadam arlésien était une sorte de terre promise ignorée de ses usagés ?…”

Les badgés, toutes castes confondues, ont pour doctrine de toujours arborer de manière nonchalante leur laissez-passer. Vous les croisez dans les soirées, à une heure du matin, quand toutes les expos et conférences de la journée sont terminées, un verre à la main, rhinocéros roses à cornes vertes autour du cou comme s’ils étaient nés avec ! Vous finissez même par vous dire : “Mince, je n’aurais pas autant d’assurance avec un rhino en guise de collier !” 

Du 3 au 13 juillet, je vais donc rentrer dans une phase de paranoïa aiguë, la peur du flashage intempestif va m’envahir. Mais cette année, c’est juré, on ne m’y reprendra plus. Je ne vais donc plus enfiler le premier vêtement qui traîne au pied de mon lit, je n’aurai plus le cheveu hirsute et le regard bovin pour aller acheter ma baguette matinale ! Poses étudiées pour boire mon café en terrasse, démarche aérienne, port de tête remarquable : voilà le quotidien qui m’attend pour ne pas risquer l’horreur photographique. Je vous abandonne donc vite pour m’entraîner. Les expos de cette 41e édition des RIP ? Je les découvrirai après le 13 juillet, sereinement, en tongs et cheveux rebelles… J’espère vous y croiser, chers lecteurs, mais sans appareil photo ! Par pitié… » — Sophie Aubert, juin 2010.