21 août 2013

« Avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment »


Louis-Ferdinand Céline avait bien raison lorsqu’il écrivait qu’« avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment ». 

Un des débats de l’été est de savoir si le toro ‘Vidente’, de la famille Cuadri, combattu à Dax, était brave ou pas.


Pour Laurent Larrieu, ici, il s’agissait d’un « grand brave » ; pour beaucoup de taurins, il s’agissait d’un toro essentiellement puissant, mais pas vraiment brave.


En ce qui concerne ma pomme — pour n’avoir rien vu, ni en vrai et encore moins en vidéo —, je n’en ai évidemment aucune idée. 

Pour notre ami André Viard… oui, oui, Viard est notre ami, eh bien… il ne semble pas en penser grand-chose de la bravoure de ce toro, si ce n’est que, pour la première pique, il trouva que le « choc fut terrible et, après un instant d’immobilité, le convoi se mit en branle vers les planches, le cheval pivota sur les postérieurs et la citadelle s’écroula, renversée à la loyale. » 

C’est tout. À la loyale, donc. 

Voilà qui plaide cependant en faveur du toro, puis, pas une ligne pour la suite et pas davantage dans le compte rendu du site. 

On ne saura donc jamais si, pour Terres taurines, cet animal était brave ou pas. 

L’opinion la plus étonnante qu’il m’ait été donné de lire sur ce toro vient d’un des principaux intéressés de cette lidia épique, et pas le moindre, Placido Sandoval, sérieusement remué et menacé par le Cuadri. Sandoval de déclarer que « le toro n'était pas brave, mais qu’il était haut et abusait de sa force, qu’il paraissait déterminé en début de course, puis freinait dans les derniers instants en cherchant à contourner la pique, se retrouvant ainsi devant la monture et la déséquilibrant à deux reprises. »

Pas vraiment à la loyale pour le picador, et certainement pas brave. C’est clairement niet. Chacun des présents en pensera ce que bon lui semble.



Ce qui me laisserait ici presque sans voix, c’est la notion, pour un toro, d’« abuser de sa force ». Voilà encore une nouveauté.
 Un toro ne devrait donc pas « abuser de sa force ». 

Nous connaissons tous l’expression « abus de faiblesse », qui renvoie immédiatement à la notion de tribunal et autres procédures judiciaires, mais « abus de force », c’est nouveau. 

C’est très étrange. Ceci induit l’idée assez confuse, mais bien réelle, que le toro a une conscience presque humaine qu’il doit savoir user de sa force, qu’il ne doit pas aller trop loin, qu’il ne doit pas dépasser les limites d’un certain raisonnable. 


Le toro aurait une conscience de son comportement. Le toro aurait des devoirs. Voilà qui va faire plaisir aux « zantis ». 
On pourrait même étendre le concept et imaginer Morante de la Puebla déclarer, du fond de son lit : « Ah, le con ! Il m’en a mis trente centimètres. Il n’était pas vraiment noble, il a abusé de ses cornes. » Hypothèse évidemment farfelue.

C’est nouveau mais ça n’a rien de réjouissant, à la vérité, car ceci suggère surtout que la force chez un toro doit être mesurée, qu’il y a des limites à ne pas dépasser, et que le « torisme » de luxe (sic), c’est bien mais jusqu’à un certain point ; il faut que ça reste raisonnable. C’est quand même mieux sous forme de simulacre, comme en juin dernier à Madrid, que les quatre fers en l’air comme à Dax. 

Ceci étant, c’est une nouveauté sans l’être, car les taurins, Placido Sandoval compris, d’un toro fort ils n’en veulent pas, et lorsqu’il en sort un, cette force et cette puissance sont mises à l’index, d’une façon ou d’une autre. Excès de force… Abus de force, triste concept.