07 août 2013

The place to be !


Il est des endroits sur terre, inattendus et enchanteurs, où il fait bon vivre. Celui-là est un petit paradis terrestre, un éden pas franchement tropical (quoique…), mais probablement le lieu le plus in de la place, envié, désiré, voulu par tous, celui où le gratin se claque le kiss à coups de chéri par-ci, chéri par-là… Celui où les patrons du CAC 40 scellent leurs deals commerciaux, celui où l’on négocie les palmes et les ballons d’or, celui où l’on se congratule et se salue à force de pipes et tapes dans le dos. Bref, tout un spectacle dans le spectacle, en somme, une sorte de Croisette ultime, moins clinquante, je vous l’accorde, plus rustique parfois, c’est bien vrai, et avec moins de nichons au mètre carré, il faut l’avouer, mais au vu de l’encombrement, assurément THE PLACE TO BE, le point ultime de l’ascension sociale, l’épicentre de la reconnaissance, l’axe de rotation du voyeurisme new-age.

Vas-y que ça pavane, que ça se trémousse, que ça tchatche, que ça déconne, que ça frôle par accident le cul de la voisine au passage et que ça picole même aussi un peu. Bref, qui s’y trouve a forcément sa bonne raison de se trouver là et d’y siéger comme un pacha, le temps de deux bonnes heures au soleil, le temps que la populace ait pris le temps de voir, de reconnaître, de revoir, d’admirer et de conclure sur un : « S’il y est, c’est que c’est quelqu’un ! » Bref, le temps de savourer pleinement les effets du privilège et de revêtir le costume des gens rares et importants. 

Tu m’étonnes, Yvonne, que je parle du callejón

Initialement prévu pour les gars de la piste, les poussiéreux et les suants, les ouvriers du ruedo et les protagonistes sans qui le spectacle ne pourrait se tenir debout, il se définit visiblement de nos jours comme la récompense d’une vie héroïque de bons et loyaux services envers la société, voire le monde, et de préférence le grand, le beau, le voyant. Un Roland-Garros parallèle, où l’on ne serait même pas surpris d’y croiser la trogne ridassée de Bébel avec ses clébards, de Bruel ou Usain Bolt, tellement il va de soi que c’est là et bien là que vous trouverez le beau monde. Figurez-vous que la barrera ombre a fait son chemin… Plus vraiment people, carrément désuète et un peu has been, elle sert aujourd’hui à caser les vieux, la famille, Victorino père et fils, et les blondes à gros seins. 

Désormais, c’est dans le callejón qu’il faut se trouver, et nulle part ailleurs. D’ailleurs, vous-même, songeriez-vous une seconde qu’il soit possible de faire une photo ailleurs que depuis un callejón ? Songeriez-vous vous-même qu’il puisse être possible de rapporter l’info d’ailleurs que depuis le couloir de bois ? Songeriez-vous un instant que l’on aperçoive votre superbe chemise Paseo rigoureusement repassée par maman depuis autre part qu’un callejón ? Eh bé non, pardi ! Les vrais, les bons, les pointilleux et les soucieux du technico-technique, c’est dans le callejón que vous les trouverez. Et comme il semble en plus indispensable aux empresas de maintenir les relations au beau fixe, par le biais de la distribution intensive du Saint-Graal, eh bien ne vous étonnez pas que les uns et les autres aient fini par oublier qu’il y avait aussi des taquillas pour le commun des mortels.

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« … Finalement, pour le coup, c’est peut-être de l’Espagne que viendra le salut, le sursaut de raison, le retour à la sagesse espéré de tous, quand on sait que, fatalement, tout finira par se régler pour de bon le jour où viendra le pépin, le gros, le lourd, l’emmerdant… Et c’est en Castilla-La Mancha que l’on s'est posé les premiers autour de la table, afin de redéfinir le rôle et l’utilisation des burladeros du callejón. 

En 1998, une ordonnance fut signée pour modifier et introduire de nouveaux articles dans le règlement taurin, afin de réguler le nombre de personnes présentes. On l’a dit, car constaté encore récemment, le rappel à l’ordre de ce côté-ci des Pyrénées n’est pas encore entré en vigueur, puisque l’on attend obstinément le jour du gros carton, celui qui fera qu’enfin on se posera les questions, qu’on pleurera, qu’on fera des gueules de réfugiés syriens et qu’on cherchera comme des morts de faim les responsables, les coupables, que dis-je, les inconscients responsables du massacre

Sales manies, us et coutumes pour certains, l’octroi d’une place en callejón est devenu une pratique courante profondément enracinée. Aujourd’hui, l’on y trouve TROP de personnes qui n’ont rien à voir avec le déroulement du spectacle taurin, étant donné qu’elles n’interviennent en rien dans le déroulement de la lidia, qu’elles ne font pas partie non plus du personnel des arènes et qu’elles n’assurent aucune espèce de tâche auxiliaire. 

Presque toujours ces personnages y accèdent gratuitement et occupent des places considérées socialement comme des places de privilégiés, sans pouvoir démontrer que, par leur présence dans un burladero du callejón (et souvent, même, en plein milieu de la contre-piste), ils garantissent quelque geste nécessaire au bon fonctionnement du spectacle !

En Espagne, on a jugé que ces coutumes étaient fortement déconseillées, tant pour leurs incidences négatives sur les conditions de sécurité des participants à la lidia que pour le rejet populaire de situations de privilégiés non objectivement fondées. Cinq articles très complets ne permettent plus l’ombre d’une hésitation casuelle. En Andalousie, la loi oblige même à quitter le callejón les personnes consommant boissons alcoolisées ou sandwichs… et toute personne étrangère au spectacle.

L’exemple le plus frappant de cette ineptie à contre-courant des principes fondamentaux de sécurité dans une plaza de toros, où, plus que partout ailleurs, cette notion devrait être le berceau de toute réflexion, fut celui du sprint effréné de Carmen Alba, déléguée du Gouvernement, revenant de son énième pipi entre deux toros, qui s’est, par la force des choses, offert l’opportunité de juger sa pointe de vitesse dans le callejón pamplonais, avec — excusez du peu — un velu Dolores Aguirre collé au derche, bien décidé, lui, à prendre les itinéraires parallèles. L’élue n’a dû son salut qu’à l’opportuniste bras tendu qui a pu lui ouvrir une porte de secours jamais aussi bien nommée. Elle s’en est sortie avec trois cents euros d’amende, tout de même, et quelques souvenirs rigolos, ou héroïques, à raconter en famille. 

Jusqu’au jour où… »


>>> Merci à Vincent ‘Malcos’ Gaüzère pour son travail de recherche et de traduction, sa passion et son obstination… Lisez Watergolf.over-blog.com, dans lequel vous trouverez le texte original… et tant d’autres choses encore.