16 août 2013

¡Toros de lidia !


D’abord ‘Vidente’ ! Numéro 33, 622 kg, noir nuit sans lune, Cuadri des pezuñas jusqu’au diamant du pitón, le museau allongé, la badana pendante, acapachado parfait. ‘Vidente’ est une gravure de mode taurine qui, en mai, attendait son voyage dans le cercado de Madrid. En août, il devient fou en foulant le ruedo dacquois. La devise ? la rage ? le soleil ? le bruit ? Va savoir, on s’en moque.

Placido Sandoval est devenu depuis quelques temporadas l’icône de l’Aficíon. Grand cavalier, homme de spectacle, il a compris que le public aimait le voir aller et venir devant le toro, que le public aimait l’entendre pousser ses râles rauques pour provoquer la charge des toros. D’une belle idée — redonner du vibrant au tercio de piques —, Sandoval a construit un système qui, comme tout système, peut finir par agacer. Avant qu’il n’entre en piste, chacun sait déjà à quoi s’attendre quel que soit le toro qu’il a la charge de piquer. Comme pour tout système à succès, en tauromachie ou pas, comme pour tout système pétri d’automatismes, le plus grand danger est la lassitude. Et Sandoval est parfois lassant quand il compose son numéro avec des toros qui n’ont rien de braves. 

Mais le propre des grands toreros, car les picadors sont des toreros, est de se grandir dans l’adversité, de savoir redevenir simplement eux-mêmes au moment adéquat. Hier, à Dax, face à ‘Vidente’, grand toro brave, Placido Sandoval a été un immense torero qui a vu sa société du spectacle catapultée par deux fois au tapis, balayée par la force et la bravoure sèche de ce Cuadri de mémoire. Alors, à chaque fois Sandoval est remonté sur ‘Destinado’ — d’autres auraient voulu se venger, lui, non —, à chaque fois Sandoval a provoqué ‘Vidente’ et à chaque fois Sandoval a piqué ce paquetazo de poder avec ce qu’il fallait de châtiment et de torería.

Ensuite, ‘Tanquisto’. Numéro 10, 556 kg, noir comme ses frères, Cuadri de partout, lui aussi. Après quatre rencontres dosées, mais pour lesquelles il accourait bien et au long desquelles il alla a más dans la révélation de sa bravoure et de sa fijeza, il donnait à Castaño l’occasion de réaliser un faenón de catégorie, tant sa corne gauche avait semblé être « templée » par la nature elle-même. Las, Castaño, sans être indigne, ne se hissa jamais au niveau du Cuadri et récita une tauromachie de tous les jours, succession de passes sans construction. 

Après… les autres : ‘Sanitario’, numéro 41, 557 kg et noir encore pour offrir à l’œil un contraste frappant avec la blancheur éclatante des dents de Manuel Escribano, qui pourrait vendre du dentifrice ou vanter les mérites d’Émail Diamant dans une publicité diffusée à 20 h 50 sur TF1 où on le découvrirait, entouré d’une petite famille parfaite — un garçon, une fille et une femme La Redoute —, s’adonnant aux joies du récurage dentaire après avoir avalé le plateau de croissants quand le soleil vient de se lever. Manuel Escribano devrait y penser, car sa carrière de matador de toros a pris deux gifles à Dax, de celles qui font saigner les gencives. Lui aussi, depuis deux ou trois temporadas, a finassé un numéro devenu systématique : poses de banderilles à cornes passées, mais données avec alegría, public heureux parce que ça bouge, puis faena sans queue, sans tête, bien que tenue par le courage.

Hier soir, il a regardé ‘Sanitario’ sans savoir quoi lui vendre. Même pas du dentifrice. Baladé par le toro « encasté » et à la charge lourde et pesante, Escribano a rendu une copie plus blanche que ses ratiches de début de soirée sur TF1. Sandoval s’est grandi face à ‘Vidente’ ; Escribano a étalé ses faiblesses et ses lacunes, et démontré qu’il ne sera jamais un grand torero, encore moins en déclarant, ce matin dans la presse régionale, que « la condition des toros ne nous a pas laissé la moindre option de triomphe. Certains toros ont été spectaculaires au cheval, mais n’ont pas servi au dernier tercio. C’est dommage pour le public, qui était venu passer un bel après-midi » (in Sud Ouest, édition Dax/Sud-Landes, vendredi 16 août 2013, page 29).

‘Almirante’, numéro 30, 525 kg et noir comme l’aficíon en deuil de ce pauvre Luis Bolívar. Voir ses camarades de cartel soigner la mise en suerte au cheval ne l’incita à aucun moment à faire de même avec ses toros. Bolívar était hier le héraut de cette tauromachie quotidienne où l’on laisse un toro une minute sous la première pique pour ensuite demander le changement de tiers (que lui refusa fort opportunément le président de la course, Marc Amestoy). Bolívar est aussi le messager de ce toreo fuera de cacho et automatiquement conduit vers l’extérieur en fin de passe. Quand il fallait monter sur ‘Tendero’, numéro 24 (sobrero), 588 kg, Bolívar proposait un bras télescopique sur le côté et une envie en deuil. Du gâchis ! 

Il y avait hier, à Dax, une vraie belle course de taureaux de combat. Il y avait de quoi toréer, il y avait de quoi se battre et il y avait de quoi « lidier ». Les toros de Cuadri, que certains qualifient dans les médias taurins de l’ère Twitter de « deslucidos » au troisième tiers, avaient de la caste, exprimée différemment et avec plus ou moins d’alegría, du poder et de la bravoure. Mais la tauromachie est arrivée à ce point de non-lidia et de non-intelligence du combat que plus personne ne fait l’effort de regarder un toro à partir du moment où celui-ci ne propose pas une faena de cent passes, avec les petits fours en prime — n’oubliez pas qu’il faut qu’il serve ! Les Cuadri ne sont pas des toros de faenas longues, mais ils exigent de la technique dans la lidia : que sont devenues les passes de châtiment ? Où a disparu le toreo par le bas, fait de passes de recorte et fondé sur un jeu de jambes d’athlète ? 

Il restera de cette corrida la saveur bienheureuse d’au moins quatre bons taureaux de combat, d’un chef de lidia exceptionnel : la cuadrilla de Castaño, omniprésente, intelligente, fière et torera au possible : David Adalid, Marco Galán (extraordinaire une fois de plus dans ses placements des toros pour le tercio de banderilles) et Fernando Sánchez, dont l’inimitable façon de préparer sa pose semble impressionner même les grands toros de Cuadri.


>>> Retrouvez, sous la rubrique « Ruedos » du site, une galerie consacrée à la corrida de Cuadri « lidiée » à Dax le 15 août 2013.